La dame de Montsalvy
l'avait oubliée... Aujourd'hui c'était à elle qu'il fallait demander le service suprême qu'elle n'avait pu lui rendre...
Un rayon du pâle soleil d'hiver éclos, comme une fleur des neiges, au matin de ce jour de Noël, fit luire l'acier bleu de la lame dont, d'un doigt précautionneux, Catherine essaya la pointe bien affilée.
Elle n'avait pas peur. La mort, elle l'avait rencontrée si souvent qu'elle lui était devenue familière. En mettant fin à ses jours elle allait mettre en péril du même coup le salut de son âme, mais elle ne s'y arrêtait même pas. Infinie justice, Dieu n'était-il pas aussi infinie miséricorde
? En outre, périssant de sa propre main, c'était Arnaud qu'elle protégeait d'un crime car, elle en était persuadée, le seigneur de Montsalvy n'épargnerait pas une épouse à ce point souillée. Il eût peut-être - et elle l'avait secrètement espéré - pardonné le viol, il n'admettrait pas sa preuve vivante et permanente.
Pourtant, en quittant Dijon, elle avait désespérément souhaité mourir de sa main en échange du simple bonheur de le revoir une dernière fois. C'était, au fond, une réaction d'égoïsme, mais à ce moment-là elle ignorait quelle trace horrible le viol multiple avait laissée en elle. Le meurtre alors serait double et dans ce cas mieux valait le garder pour elle.
Bien sûr, c'eût été bon de mourir à Montsalvy, où d'ailleurs sa vieille Sara possédait certainement le moyen de la délivrer. Mais comment y retourner avec ce poids de honte au creux de son corps ?
Comment poser sur les visages innocents de son Michel et de sa petite Isabelle des lèvres souillées par tant de lèvres ? Comment leur imposer son contact ? Comment, enfin, regarder en face, non seulement son époux, mais aussi tous ces braves gens de Montsalvy qui l'appelaient si tendrement « notre dame » et la vénéraient presque à l'égal d'un ange ?
Le mieux était de partir maintenant, tout de suite, au début de ce beau jour de Noël, le plus doux et le plus joyeux de l'année. Son âme s'en irait vers Dieu - vers Dieu qui savait ses souffrances et ne la repousserait pas ! - avec le chant des cloches qui montait dans l'air froid du dehors.
Calmement, elle s'agenouilla sur le carreau de la chambre pour une dernière prière où elle mit tout son cœur en recommandant au Seigneur tous ceux qu'elle aimait bien plus qu'elle-même. Puis, se relevant, elle hésita un instant à s'habiller. Mais l'épaisseur des vêtements rendrait le chemin de la dague plus difficile. Elle se contenta de brosser soigneusement ses magnifiques cheveux d'or pour qu'ils lui fissent un manteau de lumière, écrivit une lettre pour Gauthier afin que, sachant la vérité, il comprît et renonçât à son projet insensé de la suivre dans la mort puis, simplement vêtue de sa longue chemise de lin blanc qui l'enveloppait du cou aux talons comme une robe monacale, elle retourna s'étendre sur son lit, saisit la dague d'une main qui ne tremblait pas, en baisa la poignée et levant le bras, ferma les yeux...
Des coups précipités frappés à sa porte suspendirent le geste homicide, retenant instinctivement la main prête à retomber vers le cœur. En même temps retentissait la voix joyeuse du jeune Chazay.
— Dame Catherine ! Dame Catherine ! Éveillez- vous ! Éveillez-vous vite ! Il y a là quelqu'un qui demande à vous voir... Ouvrez-moi, s'il vous plaît !
Elle ne répondit pas tout de suite mais son bras, lentement, redescendit le long de son corps. La vie, par cette voix jeune et gaie, la rappelait avec d'autant plus de puissance qu'elle semblait se faire l'écho d'une bonne nouvelle. Et Catherine, encore qu'elle ne vît pas bien quelle sorte d'événement heureux pourrait lui advenir dans sa situation présente, Catherine en oublia momentanément qu'elle voulait mourir.
Peut-être parce qu'elle n'en avait pas véritablement envie, parce que la mort n'était pour elle qu'un pis- aller et parce que l'ardent amour de la vie qu'elle avait toujours porté en elle comme un secret lui faisait espérer jusqu'à la dernière seconde un secours divin, miraculeux... un secours qu'elle avait appelé inconsciemment.
Elle voulut parler, demander qui était là mais aucun son ne sortit de sa gorge nouée. La voix de Gauthier reprit, impatiente :
— Dame Catherine ! Dame Catherine ! N'entendez-vous pas ?
Dormez-vous si fort ? Je vous amène un ami...
Un ami ? D'où pouvait lui venir un ami ? Pourtant si fort
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