La dame de Montsalvy
rejoignait les deux hommes et Bérenger devant le grand feu flambant et le plantureux repas que Van Eyck avait commandé. Le page, déjà attablé et les yeux brillants de contentement, était en train de faire la conquête du peintre amusé par la figure brune, la mine expressive et l'esprit vif de l'enfant.
On commença par manger en silence, un silence que Catherine pour sa part n'avait pas envie de rompre. Elle qui n'était pas gourmande trouvait, ce matin là, une saveur nouvelle aux mets qu'on lui servait, au jambon d'Ardenne, au délicieux boudin de Noël aux herbes, au lait mousseux, aux massepains fondants tout fraîchement sortis du four.
Van Eyck mangeait en homme qui a couvert une longue route et qui a besoin de se refaire des forces : le repas terminé, il monterait au château pour délivrer son désagréable message à la duchesse.
Bérenger dévorait avec le bel appétit de son âge. Seul Gauthier, après avoir englouti un tiers du jambon à lui tout seul, ralentit le rythme et même cessa brusquement de manger pour tomber dans une rêverie profonde, si profonde qu'il fallut le secouer pour qu'il consentît à en sortir.
— Réfléchir à table n'est jamais une bonne chose, dit, en lui tendant un gobelet plein d'eau-de-vie de myrtille, Van Eyck qui, en bon Flamand, mettait de la méthode en toutes choses et ne mélangeait jamais rien. Buvez cela, vous vous sentirez l'esprit plus chaleureux.
D'autant que vous n'aurez pas de grands efforts à faire pour résoudre le problème qui vous préoccupe si visiblement.
— Cela m'étonnerait car le problème en question est d'ordre...
médical. Je sais les plantes capables de libérer notre dame mais, outre que j'ignore où me les procurer dans ce pays, j'en redoute l'usage si peu de temps après l'épreuve dont vous n'ignorez plus rien maintenant
!
Mais comme c'était un garçon qui ne refusait jamais un bon conseil, il vida le gobelet d'un trait et le reposa bruyamment sur la table sans pouvoir retenir un rot retentissant qui fit rire le Flamand...
Doucement, celui-ci posa sa main sur celle de Catherine qui venait de se crisper sur un morceau de pain et sourit à la jeune femme, déjà reprise par l'angoisse.
Il n'est pas question de faire courir un danger si petit soit-il à une vie qui nous est chère. Je n'en maintiens pas moins que je connais la solution : elle se trouve à Bruges, Catherine... pas bien loin d'une maison que vous connaissez.
Une lente rougeur envahit le visage pâle de la jeune femme. Le seul nom de Bruges lui rappelait tant de choses passées, tant de souvenirs dont beaucoup ne manquaient pas de charme car, toujours honnête avec elle-même, elle s'était avoué bien souvent qu'au temps où elle croyait Arnaud à jamais perdu pour elle, l'amour du duc Philippe lui avait été doux. Mais elle chassa fermement l'insidieux souvenir.
— Vous ne pensez pas m'emmener là-bas, Jean ? Qu'irais-je faire à Bruges ?
— Voir une habile Florentine, une grosse femme qui fait partie de la maison d'un mien client et ami, le riche marchand Arnolfini... Cette femme s'est acquis, sous le manteau, une grande réputation en...
remettant à neuf avant que la duchesse ne s'en avise, l'une de ses filles d'honneur avec laquelle Monseigneur avait eu un entretien un peu long
! Elle ne travaille que par relations et elle est plutôt chère mais avec elle le risque est réduit à rien. Vous voyez, ma chère amie, que vous avez tout intérêt à ce voyage, qui n'est d'ailleurs pas si long : environ quatre-vingts lieues, en faisant le léger détour par Lille où il me faudra m'arrêter une journée afin de rendre compte de ma mission. Mais, en compensation vous y trouverez un peu de réconfort auprès de la nourrice de monseigneur de Charolais qui est de vos meilleures amies à ce que l'on m'a dit. Alors que dites-vous de mon projet ?
Catherine ne répondit pas tout de suite. Certes, le peintre lui offrait là une solution meilleure que tout ce qu'elle pouvait trouver mais elle éprouvait un sentiment bizarre, à la fois de répugnance et du brusque désir de revoir la merveilleuse cité flamande, l'une des plus belles certainement de toute la chrétienté, là où sa vie éternellement errante s'était un instant arrêtée. La répugnance venait surtout du fait que retourner vers Bruges c'était tourner peut-être le dos à sa vie de femme, s'éloigner encore de Montsalvy où cependant elle avait tellement envie de revenir pour n'en plus jamais
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