La dame de Montsalvy
c'est ce culte qui vous a jetée sur les chemins impossibles de l'hiver pour passer... une seule nuit chez une amie ? J'avoue que j'ai peine à y croire.
— C'est normal. J'ajoute qu'en venant chez Symonne je comptais joindre l'agréable à l'utile. Je souhaitais, en effet, m'assurer, avant de retourner vers les miens, et afin que je puisse considérer ma mission comme entièrement remplie, que le roi René recevait du grand-duc d'Occident l'accueil que l'on doit à un cousin et que plus aucun danger ne le menaçait.
Catherine avait débité son énorme mensonge avec un aplomb et un calme qui la surprit elle-même. C'était presque trop parfait et elle craignit un instant que cela ne ressemblât un peu à une leçon soigneusement apprise. Mais Philippe était trop occupé à se mettre en colère pour s'en apercevoir.
— L'accueil que l'on doit à un cousin ? Ma parole, cette péronnelle me prend pour un boutiquier ? Ah çà, madame de Montsalvy, imaginez-vous qu'un duc de Bourgogne puisse attendre de quiconque un conseil sur sa façon de recevoir ?...
— Ce n'est pas cela...
Non ? Alors quoi ? Vous vouliez voir si je n'avais pas fait venir votre précieux roitelet pour l'égorger au coin d'un bois ou bien lui offrir une coupe de mon merveilleux vin de Beaune déshonoré par un poison ?...
Et d'abord, pourquoi vous intéressez-vous à ce point à ce benêt ? Vous l'aimez peut- être ?
Le long visage vexé de Philippe avait quelque chose de comique et Catherine se permit un sourire :
— Je l'aime... bien ! C'est un ami !
— Encore !... En ce cas pourquoi n'êtes-vous pas venue avec lui ?
Dame Morel faisait partie de son escorte...
— Elle me l'avait offert mais j'étais malade alors, incapable de voyager. Je suis restée tranquillement chez elle jusqu'à mon rétablissement et...
— ... et à présent vous voilà ! Pour une seule nuit ? Et... où comptez-vous aller demain ?
— Mais... je l'ai déjà dit, monseigneur : je rentre chez moi près des miens...
— À Montsalvy ?
— À Montsalvy !
— Où, j'imagine votre époux vous attend avec impatience ?
Une aigreur jalouse perçait dans la voix du Duc. C'était un nouveau piège à éviter. Calmement, Catherine hocha la tête.
— Mon époux sert le Roi... et le Roi doit être encore dans les États du comte de Foix.
— Ce qui veut dire que messire Arnaud doit se trouver lui aussi quelque part dans le sud. Vous n'êtes donc pas si pressée de rentrer, madame, et puisque vous avez pris tant de risques, dépensé tant de temps et de fatigue pour le service de René d'Anjou, vous souffrirez bien d'en dépenser un peu pour celui d'un... ancien ami ? Ou bien n'y a-t-il point de place pour moi dans l'ordre de votre chevalerie personnelle ?
Catherine plongea dans une profonde révérence destinée surtout à dissimuler son embarras. Elle ne s'en tirerait pas aussi facilement qu'elle l'avait espéré.
— La première place... toujours... a appartenu à Votre Seigneurie !
— Eh bien prouvez-le-moi !
— De quelle manière ?
— En participant tout à l'heure au banquet des Rois. On va vous conduire à un appartement où vous pourrez faire toilette...
— Mais, monseigneur...
— Pas de mais ! Je ne l'accepterai pas. Ce soir vous serez mon hôte pour la dernière fois peut-être. Si vous tenez tant à passer une nuit chez dame Morel vous y passerez celle de demain. Mais cette nuit des Rois je la réclame pour... la Bourgogne. Ainsi vous pourrez retrouver d'un seul coup beaucoup d'anciens amis...
— Mais c'est impossible ! Comment faire accepter à la duchesse votre épouse la présence à sa table d'une...
— ... ancienne maîtresse ? Il faudrait pour cela qu'elle vous connaisse. En outre, il y a beau temps que ce genre de chose ne la trouble plus. Elle n'aime au monde que son fils et Dieu !
— Peut-être parce que vous ne lui permettez d'aimer que son fils et Dieu ?...
— Elle est bien trop grande dame pour la chaleur de l'amour. Son corps m'a donné un fils vigoureux mais ne semble pas disposé à m'en donner d'autres ! Au surplus, et si je vous ai bien comprise, n'êtes-vous pas, en quelque sorte, ambassadrice de la reine Yolande auprès de son fils ? Dès lors rien de plus naturel que votre présence. Vous avez pu voir d'ailleurs que le connétable de Richemont est aussi de mes hôtes. Vous êtes également amis je crois ?
— Très !... soupira Catherine en se demandant quel accueil allait lui réserver le Breton. Mais...
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