La dame de Montsalvy
que Catherine sût dire d'où elles apparaissaient, deux femmes à la peau sombre, vêtues de blanc, des esclaves peut-être achetées à Venise ou à Gênes et amenées jusqu'aux rives de la mer du Nord. Philippe, elle le savait depuis longtemps, appréciait leurs services attentifs et pratiquement muets... Elles saluèrent profondément puis, avec de grands rires neigeux qui illuminaient leur teint luisant, elles s'emparèrent de Catherine et en un rien de temps la débarrassèrent de son attirail de coureur des grands chemins.
Les houseaux, les chausses collantes, le pourpoint, le camail qui enserrait la tête, la chemise, tout vola, tout disparut comme par enchantement et le miroir cette fois rendit à Catherine une autre image d'autrefois : celle de sa nudité sensuelle et grande sur laquelle les mains noires, avec des gestes émerveillés, étalaient le manteau fabuleux des cheveux d'or dénoués.
Et puis ce fut le bain parfumé de verveine, ce bonheur délicieux oublié depuis longtemps et qui vint à bout de sa dernière réticence.
Avec un soupir voluptueux, Catherine s'abandonna à sa chaleur odorante, laissant l'eau verte imprégner sa peau, l'assouplir, en faire glisser la poussière, la sueur et la fatigue... Il y avait si longtemps qu'elle n'avait connu un luxe aussi raffiné car même son beau château de Montsalvy ne lui offrait rien de tel...
Elle se sentit si bien, tout à coup, si détendue qu'elle en perdit la notion du temps. Les yeux clos, elle laissait son corps, délivré de toute pesanteur, flotter dans l'eau caressante. C'était, en vérité, un bain miraculeux car il rejetait pour un temps les soucis, les idées sombres, la peur du lendemain et en même temps rendait à Catherine le goût de la féminité, le désir d'être heureuse encore...
Sur le point de s'endormir, elle se laissa soulever hors du bain, envelopper dans une fine toile de Frise chauffée devant le feu, essuyer... Puis les mains noires qui, brusquement, lui rappelèrent Grenade et les soins minutieux de Fatima, se mirent à oindre et à masser sa peau qui redevenait miraculeusement souple et douce. On la parfuma - et ce parfum bien sûr était celui-là même dont elle avait usé jadis, coûteuse composition apportée du Levant par les caraques ventrues des marchands - on brossa longuement ses cheveux qui sous les mains habiles des baigneuses reprirent tout leur éclat mais, à la grande surprise de Catherine on ne les recoiffa pas en nattes serrées capables de supporter le poids et les épingles d'un hennin. Les servantes se contentèrent de les relever et de les emprisonner dans une large résille de perles fines qui en ramenait la longueur au milieu du dos.
De même, aucune chemise ne lui fut offerte et la robe de satin blanc glissa comme de l'eau fraîche tout le long de son corps. C'était une très grande robe, ceinturée juste sous la poitrine par une torsade de perles, avec de larges manches qui glissaient sur les bras nus et les découvraient facilement. Le décolleté en était si généreux qu'il encadrait plus qu'il ne cachait les seins de la jeune femme dont les pointes roses effleuraient le tissu. Des bas de soie attachés au-dessus du genou par des jarretières de dentelle et des petites pantoufles de satin blanc complétèrent cette toilette étrange. Mais quand les deux femmes sombres la prenant chacune par une main la ramenèrent dans la chambre rose et la posèrent devant le miroir, Catherine, inquiète et séduite, découvrit le reflet d'une princesse de légende... et aussi que le temps, les
souffrances et l'adversité avaient été sans pouvoir sur sa beauté : elle était plus royale que jamais.
Surprise, un peu éblouie aussi, elle prit plaisir, malgré elle, à se contempler ainsi un instant. Dans les profondeurs du palais, une musique lointaine et joyeuse se faisait entendre. La fête sans doute était commencée et l'on allait venir la chercher...
Une angoisse brusquement lui serra la gorge. Cette robe qui la déshabillait plus qu'elle ne la vêtait n'était pas faite pour subir les regards d'une foule. Philippe pensait-il donc l'exposer ainsi à demi-nue aux regards de ses invités, à ceux de son épouse, de René d’
Anjou, d'Arthur de Richemont ?... À aucun prix elle n'y consentirait
!...
Un soupir la fit retourner brusquement et elle vit qu'il était là. Tête nue, vêtu d’une longue robe noire qui l’emprisonnait de la nuque aux talons mais sur laquelle brillait une
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