La Dernière Année De Marie Dorval
avait fait fortune
dans le métier de directeur de la banlieue, du temps qu’on appelait
la direction de la banlieue la galère Seveste.
Il était décoré comme ancien militaire, je
crois.
Il avait été nommé au Théâtre-Français parce
qu’il n’y avait aucun droit et était complétement incapable de
remplir la place.
Je lui rendis publiquement cette justice lors
des répétitions de
Jules César.
Je la lui rends encore aujourd’hui.
Il est mort à la peine, directeur du
Théâtre-Lyrique. Paix à son âme !
Un matin, il se présenta chez Dorval.
Il rapportait la réponse du comité.
– Ma chère madame Dorval, commença-t-il,
je dois vous dire, à mon grand regret, que le comité du
Théâtre-Français,
à l’unanimité
, refuse votre demande.
Dorval fit un de ces mouvements fébriles
auxquels elle était sujette pendant les derniers mois de sa
vie.
Luguet pâlit.
Il se tenait debout derrière Seveste.
– Attendez, attendez, dit Seveste, mais
voici ce que je puis vous offrir, moi.
Dorval respira.
– Il va, continua Seveste, se faire un
remaniement sur le luminaire. J’espère économiser deux ou trois
cents francs d’huile par mois ; eh bien, ces deux ou trois
cents francs, je prends sur moi de vous les offrir !
L’intention était bonne, oui, certes ;
mais, on en conviendra, la forme était cruelle.
On offrait, à l’une des plus grandes artistes
qui aient jamais existé, l’économie que l’on faisait sur
l’éclairage d’un théâtre.
Et de quel théâtre ? du Théâtre-Français,
du théâtre qui se prétend le premier théâtre de Paris, c’est-à-dire
du monde.
D’un théâtre qui a plus de deux cent mille
francs de subvention.
Dorval fit un signe à Luguet ; il était
temps : la proposition allait être mal prise par lui.
Il se contenta de rendre grâce à Seveste et de
refuser.
Puis, Seveste sorti, Dorval tomba sur un
canapé en criant :
– Emmène-moi de Paris, Luguet,
emmène-moi, ces gens-là finiront par m’assassiner.
Luguet, le lendemain, partit pour Caen afin
d’y régler une série de représentations.
Les conditions arrêtées, il écrivit à Marie
qu’elle pouvait venir.
Quelques jours après, il attendait au bureau
de la diligence l’arrivée de la voiture de Paris.
Le spectacle était affiché pour le soir.
On entendit le galop des chevaux, le roulement
sourd des roues, le fouet du postillon.
La diligence s’arrêta.
Luguet se précipita vers le coupé et l’ouvrit.
Il recula anéanti.
Ce n’était point Marie qui en sortait, c’était
un spectre.
Si elle n’eût point parlé, il ne l’eût point
reconnue.
– Eh bien, demanda-t-elle, c’est comme
cela que vous me recevez, Luguet ?
Le jeune homme jeta un cri, la prit dans ses
bras, la déposa sur le pavé, la regarda encore.
Puis, tout effaré :
– Mais, mon Dieu, qu’est-il donc arrivé,
demanda-t-il, vous seriez-vous empoisonnée, malheureuse ?
– Ah ! que vous êtes donc fous tous
avec cette idée, répondit-elle ; eh ! mon Dieu ! je
mourrai bien toute seule, allez !
– Mais enfin dites, chère Marie.
– Eh bien, voilà ce que je me rappelle,
du moins. Cette nuit, il pleuvait beaucoup. Vers deux heures, la
diligence s’est arrêtée dans un petit village, les voyageurs sont
descendus pour prendre le café ; il y avait une demi-heure
d’arrêt ; j’étais malade, agitée. J’ai voulu marcher un peu.
Tout à coup, je me suis sentie mourir et je suis tombée sans
connaissance dans la boue du chemin.
On m’a retrouvée là, on m’a remise dans le
coupé et je viens mourir ici ; vous savez qu’il y a trois mois
j’ai reçu un avertissement d’en haut. Faites arracher les affiches
et appelez un prêtre.
Chapitre 7
Cet événement que Dorval regardait comme un
avertissement, et auquel elle faisait allusion par les paroles que
nous avons rapportées, le voici :
Après sa sortie du Théâtre-Historique, tandis
que le Théâtre-Français statuait sur son sort, elle était allée
donner, avec Luguet, des représentations à Saint-Omer.
On jouait
Agnès de Méranie.
Pour figurer une salle gothique on avait
suspendu des trophées au plafond.
Ces trophées étaient
nature
.
Au moment où Dorval entrait en scène, une
lance se détacha d’un trophée et lui tomba verticalement sur le
front.
Le fer de la lance déchira les chairs et lui
fit une blessure grave, qui commençant au haut de la tête se
prolongeait entre les deux
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