La Dernière Année De Marie Dorval
couvert de
fleurs arrachées à la terrasse.
Puis, à côté du berceau, elle avait traîné un
canapé sur lequel elle avait étendu un grand voile noir, qui lui
servait dans
Angelo
.
Elle ne devait plus avoir d’autre lit que ce
canapé, d’autres draps que ce voile funèbre !
Chapitre 4
À dater de ce jour, le sommeil fut pour les
deux enfants, c’est-à-dire pour Luguet et pour Caroline, banni de
la maison.
C’étaient à chaque instant des alertes
terribles. De leur chambre, ils entendaient des gémissements si
plaintifs, des sanglots si violents, qu’ils se précipitaient vingt
fois par jour chez leur mère.
On la trouvait sans cesse agenouillée sur ce
canapé, près de ce berceau, parlant à Georges comme s’il était là,
ou bien encore lui demandant où il était ; et s’il se trouvait
aussi bien dans les bras des anges et sur le sein de Dieu que dans
les bras de son père et de sa mère, et sur son sein à elle.
Puis, s’arrêtant, elle prenait cette Bible, sa
seule consolation, et lisait à haute voix, soit les Psaumes, soit
l’Évangile.
Luguet vit qu’il était temps de chercher une
distraction à cette grande douleur, et quelque temps après, elle
était engagée par M. Hostein au Théâtre-Historique.
Ce que l’on croyait une distraction fut une
source de nouvelles douleurs. Chaque fois qu’elle était forcée de
quitter cette chambre pour aller au théâtre, elle se tordait de
désespoir, se reprochant comme un crime de distraire une heure du
souvenir de Georges, et maudissant son état.
Puis, comme, de peur de redoubler ses
angoisses, le père et la mère parlaient rarement, devant elle, de
leur enfant, elle les appelait – cœurs sans tendresse, mauvais
parents !
Eux, cependant, prenaient patience et
espéraient que le temps amènerait quelque calme dans cette âme
éplorée.
Un jour, Dorval, sortie le matin, resta dehors
toute la journée. On devine les craintes de ses enfants pendant dix
heures d’absence, enfin vers huit heures du soir elle rentra
très-agitée.
Luguet lui fit timidement quelques questions,
mais on vit bientôt qu’il y avait un secret qu’elle ne voulait pas
dire.
À partir de ce moment, cette sortie se
renouvela tous les jours, et comme tous les jours elle sortait et
rentrait à la même heure, on s’était, dans la maison épuisée de
forces, arrangé de cette absence, qui rendait à tout le monde un
peu de calme.
D’ailleurs, on pensait que Marie passait tout
ce temps à l’église.
Un soir, cependant, elle rentra malade. Elle
avait un frisson violent et toussait beaucoup. Luguet l’examina
attentivement et s’aperçut que ses vêtements étaient trempés.
Il avait fait une grande pluie dans la
journée, on était du milieu de l’hiver Où était-elle donc quand
cette pluie était tombée, qu’elle paraissait l’avoir reçue tout
entière ? Cela devenait inquiétant.
Luguet résolut de savoir où elle allait.
Dès le lendemain il le sut ; il n’y avait
pour cela qu’à la suivre.
Elle avait acheté un pliant. Elle l’avait fixé
à la grille qui entourait la tombe du petit Georges par une grosse
chaîne et un cadenas, et caque matin, en hiver, pendant les mois
les plus âpres de l’année, elle allait s’installer sur ce pliant
avec sa Bible et un ouvrage de tapisserie.
Et lorsque les passants, entendant gémir,
demandaient aux gardiens du cimetière : Qu’est-ce que c’est
que cela !
Ceux-ci répondaient :
– C’est la pauvre madame Dorval qui
pleure son petit enfant.
Et les passants qui voulaient la voir
suivaient l’allée où elle gémissait ainsi, et se découvraient
devant une femme en grand deuil, ployée, les genoux au menton, et
la Bible à la main.
On ne pouvait la laisser mourir de douleur et
de froid.
Luguet imagina un voyage, et partit avec elle
pour aller donner des représentations à Orléans.
À peine étaient-ils descendus de voiture que
Luguet s’aperçut de l’absence de Marie.
Il n’était pas difficile de deviner où elle
était. Luguet se fit indiquer le cimetière, et y courut.
Dorval avait cherché une tombe d’enfant, et
s’y était agenouillée.
Luguet se tint debout derrière elle, et quand,
après deux heures d’incessante prière, elle releva la tête, elle le
vit, se leva, vint à lui sans lui dire un mot, lui prit le bras, et
rentra avec lui à l’hôtel.
Pendant tout le temps que dura le voyage, elle
allait ainsi, soit à Orléans, soit dans toute autre
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