La Dernière Année De Marie Dorval
ville, chaque
matin, au cimetière, avec une brassée de fleurs qu’elle achetait
partout où elle en pouvait trouver. Puis, arrivée au milieu des
tombes, elle fermait les yeux, et jetait les fleurs au hasard
autour d’elle, en disant à demi-voix et avec le double accent de la
prière et de la plainte :
– Pour les petits enfants ! pour les
petits enfants !
Chapitre 5
On revint à Paris, tout recommença.
Un matin, Balzac vint la trouver et lui lut la
Marâtre
.
Dorval sentit se réveiller tout ce qu’il y
avait d’artiste, je ne dirai pas dans son cœur, mais autour de son
cœur. Elle fut enchantée du rôle ; elle parla théâtre ;
elle dit la façon dont elle comprenait cette nouvelle création, à
peine entrevue et déjà dessinée dans son esprit.
Ce fut un jour de joie dans la maison :
les fils de la vie qu’on croyait brisés allaient-ils se
renouer ? Était-ce une pitié du Seigneur, une grâce d’en haut,
une miséricorde divine ?
Non, c’était le dernier rayon de soleil.
Au milieu des répétitions, Dorval eut une
indisposition de huit jours et fut obligée de rester chez elle et
de garder le lit.
Ce fut là qu’elle apprit comme un bruit de
théâtre, car aucune lettre ne lui avait été écrite, aucun avis ne
lui avait été donné, que le rôle de la Marâtre lui était retiré et
qu’il allait être joué par une autre que par elle.
Son chagrin fut cruel ; cette fois, sa
dignité d’artiste était écrasée.
Balzac, pressé d’être joué, laissa faire.
Comme dédommagement, on offrit à Dorval
quelques représentations de
Marie-Jeanne
.
Elle accepta. Il fallait bien vivre jusqu’au
moment où l’on mourrait.
Elle joua
Marie-Jeanne
.
Je n’avais pas vu la pièce, je la vis
alors.
Je n’oublierai jamais l’impression que me fit
cette représentation.
Je ne juge point ici le drame, je ne sais pas
ce qu’il est. A-t-il été rejoué ? Je l’ignore. La pièce,
c’était Dorval, c’est-à-dire, comme elle me l’avait raconté
elle-même,
une mère qui a perdu son enfant
.
Trois choses me frappèrent entre toutes.
La voix dont elle disait à son mari :
– Vous m’avez condamnée à être une
mauvaise mère, je ne vous connais plus !
La façon dont elle refermait la porte quand
elle partait pour l’hospice.
Puis enfin l’accent avec lequel, arrivée
devant
le tour
où son enfant va disparaître, le tenant sur
ses genoux comme la Madeleine de Canova tenait la croix, elle
disait :
– Adieu, mon petit ange, adieu, mon ange
adoré, adieu, mon enfant chéri, non pas adieu, au revoir ; va,
car nous nous reverrons… oh ! oui, oui, nous nous
reverrons !
Oh ! la salle tout entière éclatait en
sanglots et en gémissements.
Je me précipitai dans la coulisse après
l’acte, je la trouvai exténuée, mourante.
– Entends-tu, lui dis-je, entends-tu
comme on t’applaudit ?
– Oui, j’entends, me dit-elle avec
insouciance.
– Mais jamais je n’ai entendu le public
applaudir une autre femme comme il t’applaudit.
– Je crois bien, me dit-elle avec un
indicible mouvement d’épaules, les autres femmes lui donnent leur
talent, moi, je lui donne ma vie.
C’était vrai, elle lui donnait sa vie.
Chapitre 6
Les représentations de
Marie-Jeanne
eurent leur terme. Dorval disait qu’elle avait toujours espéré,
tant que ces représentations avaient duré, mourir un jour sur le
théâtre au moment où elle se sépare de son enfant.
Et ce vœu eût certainement été accompli si la
pièce eût eu quelques représentations de plus. Dorval se trouva
sans engagement.
C’est à cette époque qu’il faut rattacher le
terrible épisode du Théâtre-Français.
Quelques détails qui ne peuvent être consignés
dans la lettre de Luguet trouvent leur place ici.
Dorval fit une demande au comité du
Théâtre-Français. Elle demandait à être reçue comme pensionnaire à
cinq cents francs
par mois. Elle jouerait tout, duègnes,
utilités, accessoires, et de vive voix elle s’engageait à ne pas
grever longtemps le budget de la rue Richelieu.
Elle se sentait mourir.
Le comité se rassembla pour statuer sur la
demande, et refusa à l’unanimité !
À l’unanimité, entendez-vous bien ; pas
une voix ne répondit à cette grande voix d’artiste se lamentant
dans le désert de la douleur.
Pas une main ne s’étendit pour relever cette
mère aux genoux brisés.
Pas une !
Seveste était directeur.
C’était un bonhomme qui
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