La dernière nuit de Claude François
studio, les live et même les compilations. Les places
de concert. Les T-shirts. Podium tous les mois, avec ses décalcomanies et ses gadgets.
Les murs de sa chambre sont couverts de posters et de photos. Elle vit sous le regard de Claude François. S’il avait existé des draps à son effigie, elle aurait dormi dedans. Il est son idole, mais aussi son homme idéal. En matière de garçons – on ne disait pas encore les mecs – , elle ne s’est jamais intéressée aux bruns. Elle n’aime que les blonds. Avec une raie au milieu, si possible.
Sa mère aimerait qu’elle lise plutôt que de dépenser son argent de poche dans ce qu’elle appelle des « sottises ». Elle ne peut pas comprendre : elle n’aime que Gilbert Bécaud. Alors, quand ce samedi, elle lui annonce la mort de Cloclo, la jeune fille commence par trouver que c’est une mauvaise blague. Europe n° 1 a beau répéter la nouvelle, non, c’est impossible.
Elle veut vérifier par elle-même. Alors elle prend la direction du boulevard Exelmans. Mais, à peine arrivée au carrefour avec l’avenue de Versailles, elle voit la foule en pleurs. De nombreuses jeunes filles sont aussi désespérées qu’elle, mais elle n’a pas envie de partager son chagrin.
Elle veut être seule, elle oblique donc vers le pont du Garigliano. Elle a appris l’amour, ou du moins ce qu’elle croit être l’amour, dans les
chansons de Claude François, mais ses refrains ne lui ont pas appris qu’un amour peut mourir en redressant une applique dans sa salle de bains. Pour elle, la mort, c’était une affaire de vieux. On n’est pas vieux à trente-neuf ans, même pas quarante.
Elle regarde une péniche passer sous le pont. Elle se dit alors que la meilleure chose à faire, c’est encore d’aller le rejoindre dans la mort.
Elle enjambe le parapet en métal vert, elle regarde la Seine couler et crie : « Je t’aime, Claude ! » en se jetant à l’eau.
Des passants donnent aussitôt l’alerte. Les secours parviendront à la repêcher et à la ranimer…
En reprenant connaissance, elle dira juste :
— Pourquoi vous ne m’avez pas laissée mourir ?
Une autre jeune fille, en province. Sa mère lui annonce la mort de son idole, ce sont toujours les mères qui annoncent les mauvaises nouvelles.
Après avoir fondu en larmes, elle se dirige vers la fenêtre et l’ouvre.
Sa mère a juste le temps de l’empêcher de sauter…
Un peu partout en France, il y aura des scènes identiques ou presque.
On ne dénombrera aucune victime.
Quand ils apprendront la nouvelle, les jeunes enfants demanderont à leurs parents :
— Alors on ne le verra plus à la télévision ?
Pour eux, la mort restera longtemps cela : un homme qui ne passe plus à la télévision.
Plus tard, devenus informaticiens, artistes, traders, chauffeurs de bus, employés de bureau, ouvriers ou PDG, ils se souviendront tous de ce qu’ils faisaient ce samedi 11 mars 1978, lorsqu’ils ont appris la mort de Claude François, comme les Américains se souviennent tous du jour où Kennedy a été assassiné, comme la génération suivante se souviendra du 11 septembre 2001. La mort de Cloclo restera pour eux comme un « marqueur ».
Et on continuera de voir Claude François à la télévision. Plus que jamais même.
Boulevard Exelmans, les amis de Claude François commencent à venir lui rendre hommage, bravant la foule agglutinée derrière les barrières métalliques, rangées en diagonale, pour éviter tout débordement.
Dans l’appartement, Alain Dominique Perrin et Jean-Pierre Bourtayre prennent les choses en main. Depuis le début des années 1970, Jean-Pierre Bourtayre est le directeur artistique des disques Flèche. Avec son adjoint Guy Floriant, il déniche les titres à adapter, supervise les arrangements et dirige les séances d’enregistrement. Mélodiste hors pair, c’est aussi le compositeur de quelques-uns des plus grands succès de la star, d’« Une chanson populaire » à « Magnolias For Ever », en passant par « Le téléphone pleure » ou « Le Chanteur malheureux ». Visage poupin, physique rondouillard, son naturel calme est l’antidote parfait au tempérament volcanique du chanteur.
Une semaine plus tôt, Claude lui a dit :
— Je suis embêté : cela fait deux fois que je rêve que je suis mort, je n’aime pas ça. À ton avis, qu’est-ce que cela veut dire ?
Connaissant sa peur de la mort, il avait répliqué :
—
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