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La dernière nuit de Claude François

La dernière nuit de Claude François

Titel: La dernière nuit de Claude François Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bertrand Tessier
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pluie de reproches, elle décide de s’acheter un thé au distributeur automatique. Soudain, un brouhaha, de la précipitation, une sorte de cavalcade. C’est lui, forcément. Sauf qu’elle ne reconnaît pas la ferveur qui accompagne chacune de ses apparitions. Pas la moindre ovation, mais un cri de femme qui résonne dans les couloirs.

    En s’approchant, elle découvre une Clodette hystérique, entre sanglots et vociférations. Elle est folle de hurler ainsi, pourvu que Claude n’arrive pas tout de suite, il va lui passer un savon. Mais, peu à peu, elle reconstitue comme un puzzle les mots qui sortent de sa bouche de manière décousue…
    — La radio… J’étais dans le café d’en face en attendant Claude… Les gens ne parlaient que de ça… Il s’est électrocuté… Claude est mort.
    Sylvie se dirige vers l’entrée des artistes pour aller dans ce café qu’elle connaît bien. Furieuse. Non, ce n’est pas une blague à faire… Mais, à la hauteur de la loge du gardien, son attention est happée par une vieille chanson de Claude François, déformée par le son incertain des grandes ondes sur un petit transistor. Puis elle découvre la grille des studios, fermée, contenant tant bien que mal une foule plus importante que d’ordinaire.
    — Mais pourquoi avez-vous fermé les grilles ? reproche-t-elle au concierge. Claude va se retrouver coincé…
    — Il est mort, mademoiselle.
    — Qu’est-ce que vous dites ?
    — Inutile de l’attendre, mademoiselle, il ne viendra pas.
    — Comment ça ?
    — La radio vient d’annoncer sa mort.

    Incrédule, elle a l’impression d’être spectatrice d’un film qui ne la concerne pas, alors elle remonte vers la loge et lance au chauffeur de la camionnette servant à transporter les affaires de Claude :
    — Viens, on file à l’appartement, je ne comprends pas ce qu’ils disent.
    Pour rejoindre le XVI e , depuis les Buttes-Chaumont, il faut quasiment traverser tout Paris. À chaque feu rouge, des passants se précipitent sur la fourgonnette Mercedes 508 aux couleurs de Podium  : violet avec le logo du magazine en lettres jaunes sur fond rouge.
    — Alors, c’est vrai ?
    Comment confirmer ce que l’on ne croit pas soi-même ?
    À l’angle de l’avenue de Versailles et du boulevard Exelmans, le véhicule est littéralement assiégé par la foule qui a naturellement convergé au pied de l’appartement. Chacun, ou plutôt chacune, veut le toucher, comme si cet amas de tôles à son effigie était une partie de lui-même.
    — Allons au bureau, tranche le chauffeur.
    D’ordinaire, il n’y a personne le samedi. Mais lorsque Sylvie arrive, toute l’équipe est là, quasiment au complet. En larmes. Abattue. Du directeur artistique aux stagiaires, tous ont naturellement éprouvé la nécessité de se
retrouver, comme s’ils avaient besoin d’être ensemble pour accepter la nouvelle. Quand, plus tard, ils se souviendront de ce moment, ils emploieront tous la même formule : « On était assommés. »
    Guy Floriant, dans le hall d’entrée, vient d’arriver et raconte :
    — Quand j’ai entendu la radio, je me suis dit : Pfff, encore un coup de pub. Il y va fort cette fois ! Ça risque de se retourner contre lui. En même temps, les gens ont l’habitude : quand il se tord un orteil, France Dimanche titre : « Claude François a failli être amputé. »
    La standardiste, une ancienne fan, a naturellement pris son poste. Devant son terminal qui crépite de partout, elle ne cesse de répéter :
    — Oui, c’est vrai. Oui, je vous le confirme.
    Elle en oublie de décliner l’habituel : « Groupe Claude François, bonjour ! »
    S’il était là, il piquerait une colère dont il a le secret.
    Mais il ne sera plus jamais là.

    La télévision n’a pas encore la culture du breaking news . Quatre ans plus tôt, quand le
président Georges Pompidou est mort, la première chaîne s’est contentée d’incruster un « déroulant » pendant la diffusion du film, alors que Philippe Harrouard avait présenté un flash spécial au milieu des « Dossiers de l’écran », qui avaient aussitôt repris leur cours habituel. Les nécros, les commentaires, les hommages, ce serait pour le lendemain.
    En 1978, les radios libres sont toujours interdites et personne n’imagine l’arrivée prochaine de chaînes privées, mais les choses sont en train de changer. Devant l’afflux de coups de fil à leur standard, les journalistes

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