La dernière nuit de Claude François
Claude n’a jamais touché à la drogue. On parlera aussi de partie fine qui aurait mal tourné : Claude n’était-il pas d’un donjuanisme effréné frôlant l’obsession sexuelle ?
Il y en aura même pour évoquer une hypothèse autrement plus rocambolesque. Une version disco de la théorie du complot : Claude aurait été assassiné sur ordre du shah d’Iran, car il était amoureux de la shabanou. Son appartement aurait été piégé. Une première tentative aurait été l’attentat du Hilton de Londres, une deuxième, le sabotage de l’hélico à Monaco, une troisième, la fusillade de l’autoroute du Sud. C’était forcément vrai, puisque Richard Anthony l’affirmait. Il le tenait d’une source sûre : Johnny Hallyday en personne !
D’aucuns ne parviendront même pas à accepter l’idée de la mort de Claude François. Josette Martin, l’une de ses premières habilleuses, sur le dos de laquelle il avait cassé un cintre, un jour de colère, restera persuadée qu’il était toujours
vivant. Pour échapper à ses créanciers et à ses fans, il aurait fait croire à sa mort et serait en train de se la couler douce au soleil. Jusqu’à la fin de sa vie, elle fera le tour du monde à sa recherche. À chaque étape, elle collait des affiches à l’effigie de Claude, réclamant des renseignements à son sujet.
On n’arrive jamais à se résoudre à la mort accidentelle d’une idole. On les voit comme des mythes, elles ne sont que des hommes.
Difficile de se résigner à la fatalité : elle renvoie à notre propre vulnérabilité.
L’homme qui détestait être seul n’a jamais été aussi entouré. Durant les quatre jours qui précéderont ses obsèques, les proches de Claude François passeront leurs journées et leurs soirées à côté de sa dépouille. Ils vont à l’appartement comme ils allaient autrefois au bureau : pour lui. La vie semble s’être arrêtée, tout en continuant : ils vivent dans une sorte de no man’s land temporel.
Tandis que Chouffa reste assise, prostrée sur un fauteuil, collaborateurs et membres de sa famille – mais ses collaborateurs n’étaient-ils pas
sa famille et sa famille ses collaborateurs ? – s’assoient sur le rebord du lit de la petite chambre. Seule Geneviève Leroy s’éclipse régulièrement : elle doit boucler un cahier spécial pour le prochain numéro de Podium .
Tous se remémorent leurs meilleurs moments avec lui. Ses coups de gueule. Ses expressions favorites : « Je te tue et je te vire », « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour être entouré de gens aussi nuls et incompétents ? », « Tu es naturellement bête, ou tu le fais exprès ? » Tous ont, à un moment ou un autre, été virés, tous ont été repris. Tous ont voulu partir, donner leur démission, recommencer une autre vie professionnelle, mais tous ont dit oui dès qu’il a manifesté l’intention de les réintégrer.
Guy Floriant raconte le jour où il s’est retrouvé à l’hôpital pour surmenage. Une infirmière lui apporte un télégramme : « Alors ? Stop. Fini les vacances ? Stop. Fainéant. Stop. Claude. » Au même moment, il recevait une caisse de bordeaux millésimés chez lui…
Nicole Gruyer, sa directrice générale, se souvient de la note de service qu’elle avait reçue après avoir décliné une invitation à Dannemois : « Très chère madame, vous êtes instamment priée de bien vouloir nous honorer de votre présence chaque week-end au moulin. Cela à dater d’aujourd’hui jusqu’à l’an 2075,
c’est-à-dire quatre-vingt-dix-neuf ans. C’est un contrat long mais il faudra vous y faire. »
Claude tel qu’en lui-même. Dictatorial et touchant. Infernal et généreux.
Pour Kathalyn, c’est un monde qui s’écroule. À vingt-trois ans, elle découvre que les contes de fées ont une fin. Le soir du 11 mars, elle écrira dans son agenda : « Aujourd’hui, je ne suis plus. J’ai cessé d’exister : mon amour, ma vie, mon âme ont disparu. »
La nuit, nombre d’amis s’assoupissent dans les canapés et fauteuils. L’appartement n’ayant qu’une chambre, Kathalyn dort sur un matelas de fortune installé au pied du lit.
Un soir, en jetant un œil à la table de nuit de Claude, elle découvre un de ses derniers textes, griffonné de sa main, écrit dans les jours précédant son départ pour Leysin.
Le temps passe… J’avais vingt ans quand je me suis battu, il fallait que je gagne
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