La dernière nuit de Claude François

clivage politique plus puissant que jamais, Claude incarnait le divertissement considéré comme opium du peuple face à la culture censée mettre en cause et bouleverser la société.
    Comprenant qu’il devait faire exploser les frontières s’il voulait durer, il s’était mis en tête de travailler avec l’auteur le plus en vue du moment : Étienne Roda-Gil. Fils de combattants espagnols exilés en France, anar dont la devise était « Ni dieu, ni maître », il avait révolutionné l’écriture des chansons en travaillant avec Julien Clerc. Pas de doute, il était l’homme de la situation. Jean-Pierre Bourtayre avait tenté une première approche. Refus lapidaire de Roda :
    — Le jour où l’un de mes enfants achète un disque de Claude François, je l’envoie immédiatement chez un psychothérapeute.

    Claude finit par l’inviter à déjeuner et lui lance :
    — Tu as raison, continue à faire des chefs-d’œuvre pour petites fi lles en socquettes de Neuilly, et moi je continuerai à chanter pour les pauvres.
    Piqué au vif, Étienne Roda-Gil écrira « Magnolias For Ever » et « Alexandrie, Alexandra  », deux chansons poétiques qui permettront à Claude François d’élargir son public et de changer son image. Comme quoi, en matière artistique, l’audace est la meilleure manière d’avancer.
    — C’est la première fois que je chante un texte que je ne comprends pas, s’amusait-il.
    En fait, il le comprenait trop bien.
    La lumière du phare d’Alexandrie
Fait naufrager les papillons de ma jeunesse
Alexandrie où tout commence et tout finit…
    S’il était heureux d’évoquer cette Égypte qu’il avait tant aimée, il avait sans doute été gêné par l’aspect testamentaire : le « tout finit ». En amour comme pour le reste, il avait toujours redouté les conclusions car elles étaient, pour lui, une mort.
    D’ailleurs, l’Égypte, c’était loin d’être fini. Il l’avait toujours gravée au fond du cœur et il
allait la revoir. Lors du dernier Noël, au moulin, il avait annoncé à Chouffa, Josette, Kathalyn, Isabelle, ses enfants et ses proches collaborateurs qu’ils allaient y aller. Il voulait savoir si les deux manguiers plantés par son père dans le jardin de la maison d’Ismaïlia étaient toujours là. Si le plongeoir surplombait toujours le canal de Suez. Si…
    Ce n’était pas une parole en l’air : sa secrétaire avait acheté les billets. Départ : le 3 mai 1978. Mais, ce jour-là, l’avion a décollé avec de nombreux sièges vides. Les sirènes du port d’Alexandrie chantaient une autre mélodie : celle de l’absence.

Épilogue
    L’appartement du 46, boulevard Exelmans a été entièrement restructuré : il ne ressemble plus du tout à celui qu’occupait Claude François. De son vivant, le chanteur avait été sommé par les copropriétaires de repeindre deux fois par an le palier pour effacer les graffitis des fans. Aujourd’hui, il arrive que des admirateurs du chanteur taguent la façade d’un message d’amour.
    Chouffa, la mère de Claude François, est décédée en 1993. Elle repose à Dannemois, dans le caveau familial, aux côtés de son fils et de son mari, Aimé.
    Josette François habite toujours boulevard Exelmans où trône, dans son salon, le fauteuil de cuir préféré de son frère. Ses deux enfants, Stéphanie Lohr et Laurent Eschenlohr, sont journalistes. Ils ont tous deux publié un livre sur leur oncle.
    Malgré le passif financier de Claude François, la famille a accepté la succession. En quelques
années, les dettes ont été remboursées grâce aux ventes de disques. On estime que la star a vendu plus de 70 millions d’albums, dont la moitié depuis sa mort.
    Claude François Jr a longtemps géré le catalogue des éditions de Claude François, avant de le revendre à un groupe d’investisseurs, incluant notamment Xavier Niel. Il vit désormais à Bruxelles, avec ses trois enfants. Il a coproduit Cloclo , le film de Florent Emilio Siri consacré à son père.
    Marc François vit près de Cannes. Il vient d’avoir son premier enfant. Il est toujours propriétaire de l’hôtel particulier du 122 boulevard Exelmans.
     
    Janet Woollacott, seule épouse de Claude François, est décédée en 2011, en Angleterre. Après Gilbert Bécaud, dont elle a eu une fille, Jennifer, elle a vécu avec Jean-Paul Barkoff, Jean Sarrus (ex-Charlots) et Dominique Perrier.
    France Gall vivra ensuite avec Julien Clerc, puis