Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La dottoressa

La dottoressa

Titel: La dottoressa Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Graham Greene
Vom Netzwerk:
procession de la
Fête-Dieu.
    Quand j’ai été plus grande, bien sûr j’ai trôné à la caisse.
Superbe ! Je surveillais tout, comme un gouverneur de banque. Avec Maman
toujours chez ses dames de la Cour, à les coiffer, ça devenait un style de vie.
Pour ne plus être toute seule et ne plus brûler les livres d’images, ne plus me
couper les mains et ne plus boire de poison pour les rats, je restais assise à
a caisse. Oui, et il y avait des jours où le chat aussi était là. Il dormait. C’était
un bon chat. Derrière le tiroir-caisse, oui. Mais moi je ne lapais plus de lait.
    Mes parents étaient venus d’Allemagne. Tous les deux. Papa, lui,
était du Rhin, et Maman des environs de Stuttgart. Et c’est à Vienne, à l’église
Saint-Étienne, que s’était fait le mariage. Ils étaient venus à Vienne parce
que deux grands-oncles y vivaient. L’un était Josef Lauber, le vice-maire de
Vienne, et l’autre, Peter Lehr, était gynécologue, ce qui, en ce temps-là, était
toute une réputation. Il avait beaucoup à faire. On imagine sans peine ce que
ça représentait. Bon, donc, mes parents étaient venus à Vienne pour aider ces
deux grands-oncles, parce que Josef Lauber, lui, était paralysé d’un côté. Il
avait été vice-maire, mais à l’époque c’était déjà un vieux monsieur. Quant à
Peter Lehr, il continuait à faire ses visites. Ils avaient leur voiture à eux, et
les chevaux, et aussi un landau et une berline – un Brummer. Les
chevaux s’appelaient Bubi et Gigerl, deux gris, et c’était lui qui les menait.
    Ça, c’était Einsiedlergasse, la rue où ils avaient leur
maison. Et de là il partait pour ses visites professionnelles, de nuit comme de
jour, avec sa voiture et ses chevaux. Ils avaient également un cocher qui
faisait en même temps le concierge.
    C’était une maison de trois étages. Elle est toujours debout ;
c’est dans le V e arrondissement, avec une charmante arrière-cour où
il y a deux poiriers. Et là, qu’est-ce que j’ai fait comme quatre cents coups. Je
ramassais tout le crottin de cheval de la Einsiedlergasse dans la brouette et
le flanquais sur le tas de fumier dans l’arrière-cour, il avait beau être déjà
plein rien qu’avec notre propre écurie. Et puis je me battais avec les autres
enfants. Je n’ai jamais pu être une petite fille comme il faut.
    Presque chaque jour, dans ce coin du monde, il y avait un
cadavre. La phtisie galopante sévissait et il ne se passait pas de journée sans
funérailles. Dans notre maison de trois étages, j’eus l’occasion d’assister à
un de ces enterrements. La fanfare est venue s’installer dans l’entrée, elle a
joué et ensuite on a porté le mort dehors. Ce n’était pas quelqu’un de la
maison, mais c’était arrivé là. Ça me fit si grosse impression qu’à partir de
ce jour-là – mes pauvres parents avaient beau se chagriner de ma conduite –
je me suis mise à galoper derrière tous les enterrements. Je suivais derrière
avec la fanfare, en courant. Les musiciens soufflaient dans des quantités de
cuivres, à la fin ils avaient le visage écarlate et tout près d’éclater, on
aurait dit des personnages de Breughel.
    La musique m’a toujours attirée et lorsque, plus tard, je
suis allée au collège et qu’on avait cet orchestre dans cette espèce de château,
j’en perdais la tête.
    C’était plus fort que moi, ces coups de folie.
    Notre rue, l’Einseidlergasse, à la lisière du Hundsturm, c’était
quelque chose ! Le bout d’un monde, la frontière, en ce temps-là. Et sur
ce terrain de chasse je partais en expédition avec les Strizibuben (les
enfants du ruisseau) ainsi qu’on les appelait. Ce n’étaient pas des voleurs, non,
c’étaient des voyous, de vrais petits voyous.
    Quand je rentrais à la maison, on me punissait, oui, on me
tapait. Alors je dévalais l’escalier d’incendie jusqu’en bas dans la rue, pour
éviter la raclée. Je m’en souviens encore. À l’époque, j’aurais voulu me sauver
pour aller vivre avec les Strizibuben. C’étaient de petites brutes, j’en
étais une moi aussi, et j’en avais assez de cette existence solitaire et
bourgeoise, où on me battait.
    Parfois, le soir, avec mon papa, nous remontions, de l’Einsiedlergasse
où nous habitions, jusqu’à l’Arbeitergasse et au café. Mon père a toujours été
d’avis qu’il fallait me préparer à la vie, à me mélanger, car il y avait encore
une énorme différenciation

Weitere Kostenlose Bücher