La dottoressa
fait pan-pan sur mon gros derrière – non, ç’a
été toute une histoire. J’ai pris la volée des gens d’Anacapri – vous
voyez l’endroit, oui ? Là-haut sur la falaise, très au-dessus de la ville
de Capri. Je les ai vus venir, et ils m’ont attaquée avec des bâtons.
Je vais vous raconter comment ça s’est passé. À l’époque, je
n’avais pas de cabinet, non… je ne faisais que les visites à domicile, et j’étais
en bagarre, en grosse bagarre, avec mes confrères – parce qu’il y avait
deux médecins en dehors de moi, un certain docteur Frogillo, à Anacapri, et un
autre, le docteur Gennaro, à Capri, et qu’ils avaient découvert qu’il y avait
maintenant une étrangère qui leur raflait beaucoup de leurs patients – alors
ils ont fini par ruer dans les brancards. J’ai donc été convoquée par le Municipio de Capri et je me suis rendue au conseil de la paroisse où j’ai montré mon
diplôme, et le seul point sur lequel jetais en faute, c’était que j’aurais dû
me faire enregistrer à l’ Ordine dei Medici de Naples. Ce qui fut fait, une
fois que j’eus envoyé là-bas mon diplôme. On me délivra une autorisation pour
Capri, de sorte que je me retrouvai résidente là et parfaitement en règle
désormais.
Là-dessus se greffe cette autre vilaine affaire avec les
habitants qui ont menacé de me tuer.
Voilà comment. Un fermier d’Anacapri avait une fille à l’article
de la mort : tuberculeuse, très mauvais cas, dernier degré, et qui n’était
pas ma patiente – mais tout le monde m’a demandé de venir (tous, tous tant
qu’ils étaient, ils me commandaient : « Venez ! » Parce que
les autres médecins refusaient de se déplacer s’il était tard ou s’ils se
trouvaient à table, à dîner, ou avec une femme). Je suis donc arrivée et j’ai
seulement dit – en toute honnêteté – que je ne pouvais être d’aucun
secours, le médecin que ça regardait n’avait pas dû tellement se soucier d’un
cas aussi désespéré… Alors les parents sont entrés dans une grande colère, parce
que, quand une jeune fille était atteinte de ce mal, c’était la honte de la
famille, en ce sens que ses sœurs avaient de la peine à se marier à cause de ça.
Ensuite, les confrères ont jeté de l’huile sur le feu… surtout
celui d’Anacapri. Pour lui, c’était un moyen d’échapper à la colère de ces gens.
Bref, ils se sont tous unis contre moi, comme font les paysans en pareille
circonstance. À Anacapri, une nuit où je rentrais de la Piazza, après une
visite à un enfant gravement malade – un cas de scarlatine – je
traversais la piazza Boffe quand je vois ces ombres, ces silhouettes
emmitouflées, le chapeau enfoncé jusqu’aux oreilles. Il était autour de minuit
et ils se criaient entre eux : « Allez, on y va, flanquons-lui la
rossée ! » Ils avaient des gourdins. Je me suis mise à courir, j’ai
eu tout juste le temps d’arriver à ma porte, et là j’ai reçu un coup pendant
que j’enfonçais la clef. Oui, un coup, et le sang a coulé dans mes cheveux.
C’est qu’en ce temps-là quand je courais, je détalais
vraiment comme un singe, je pouvais même sauter les précipices… C’est bien fini
maintenant, sauf peut-être si on me poursuivait, car j’ai de la force pour mon
âge. Ce sont les yeux, voyez-vous, qui ne distinguent plus assez nettement pour
grimper en sachant tout de suite trouver les points d’appui pour le pied et les
prises (c’est bien comme ça qu’on dit ?) pour les doigts… Donc, j’ai couru
et eux aussi. Mais pendant qu’ils perdaient leur souffle à crier : « Cette
fois on la tient ! » tout en me poursuivant, moi je ne perdais pas du
tout le mien, et c’est comme ça que je suis arrivée à ma porte juste à temps
quand ils ont commencé à frapper. Et boum ! et pouff ! oui, en plein
sur la tête, oui, avec le sang qui coulait, et pouff-boum ! sur les
épaules. Alors j’ai envoyé des coups de pied, dans des genoux et ailleurs, où
ce n’est pas régulier ; et à force de ruer j’ai pu me dégager et me jeter
chez moi ; j’ai claqué la porte, tourné la clef, mis les verrous, la barre,
la chaîne, tout ce que j’avais sous la main. Oui, des verrous et une barre de
fer et une chaîne. Et j’étais hors de moi, si furieuse que je serais ressortie
aussitôt pour les fouetter, sauf que je n’avais pas de fouet. J’étais terrifiée,
vraiment terrifiée, mais le pire
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