La fée Morgane
lui rendre un culte. « Hélas !
murmura-t-elle, cher doux ami Lancelot, puisque je ne peux avoir de toi joie ni
réconfort, dans l’absence de nouvelles à ton sujet, je me consolerai grâce à
cet anneau que tu gardais si précieusement. Et parce que tu l’aimais tant, il me
sera un tel soutien que sa vue me rendra le contentement. Que Dieu, par sa
sainte pitié, me maintienne en vie assez longtemps pour que je te serre dans
mes bras, en pleine santé, et que je sois désormais à l’abri de tous les maux. »
Ainsi parla la reine, en ce matin. Les oiseaux commençaient à tournoyer autour
de la forteresse. Mais elle savait que la Dame du Lac ne pouvait pas abandonner
celui qu’elle avait si tendrement élevé.
Les jours passèrent, puis les semaines. Aucun des chevaliers
qu’Arthur avait envoyés à la recherche de Lancelot ne revenait à la cour ou n’envoyait
de messager. Le roi commençait à être sérieusement inquiet. Quand il
rencontrait Morgane, lorsque celle-ci faisait une apparition à Kamaalot, il ne
manquait pas de lui demander si elle avait appris quelque chose de nouveau.
« Rien, répondait-elle. J’ai beau consulter les astres, j’ai beau invoquer
nos ancêtres, je ne reçois aucune réponse. » Et quand elle quittait son
frère, Morgane, rôdant dans les corridors de la forteresse, se mettait à
ricaner, fort satisfaite de l’inquiétude d’Arthur. Elle savait bien où se
trouvait Lancelot, puisqu’il était toujours prisonnier dans le château de la
Charrette, gardé par ses deux complices, la reine Sybil et la reine de Sorestan.
Lancelot ne risquait pas de s’enfuir de sa prison tant étaient redoutables les
sortilèges qui l’environnaient. Mais, pour rien au monde, elle n’aurait dévoilé
ce secret à son frère. Quant aux chevaliers qui s’étaient lancés dans l’aventure,
elle savait également où ils étaient : le sortilège qu’elle avait jeté sur
le Val sans Retour fonctionnait à merveille et, chaque jour, un nouvel arrivé
venait grossir les rangs de ceux qui, se croyant enfermés dans cette vallée, ne
réussissaient pas à vaincre les terribles dangers qu’ils imaginaient autour d’eux.
Et quand Morgane allait rôder de ce côté, le visage enfoui dans un long voile
pour qu’on ne la reconnût point, elle ne pouvait que se réjouir du spectacle. Ils
étaient presque tous là, les compagnons du roi Arthur : Sagremor, Yvain, le
fils du roi Uryen, et bien d’autres encore, y compris le preux Gauvain, la fine
fleur de la chevalerie, celui qui promettait à chaque femme qu’il rencontrait
une fidélité pour toute la vie. Certes, les hôtes forcés du Val sans Retour n’avaient
pas trop à se plaindre de leur sort. Morgane avait établi son enchantement de
telle sorte que tous les prisonniers pussent s’imaginer vivre dans le luxe et
la gaieté ; ils logeaient dans des pavillons confortables, qui contenaient
de beaux lits, de magnifiques tapisseries, des coffres finement ouvragés. Des
serviteurs surgissaient de partout pour leur apporter les meilleurs mets qui
fussent et les plus doux breuvages qu’on eût pu trouver. Des musiciens
faisaient entendre leurs suaves accords à travers les frondaisons, tandis que, lorsque
le temps le permettait, des danseuses s’ébattaient sur le pré en des rondes
sans fin qui charmaient les yeux des spectateurs. Et l’on jouait aux échecs, aux
tables et au trictrac dans le Val sans Retour. Il y avait tout ce qu’il fallait
pour mener une vie douillette et sans soucis. On y voyait même une chapelle, avec
un prêtre pour officier. Mais celui-ci passait son temps à dormir, car aucun
des chevaliers n’avait recours à ses services, préférant de beaucoup se livrer
à des occupations plus terrestres.
« Que voici de beaux guerriers ! se disait Morgane
en les voyant s’agiter comme des ombres dans un rêve. J’en ai fait des lâches, des
pleutres, des inconscients. Après tout, ils n’étaient peut-être que cela. Tout
n’est qu’illusion en ce monde, et ce qu’ils voient ou entendent maintenant n’a
guère plus d’importance que ce qu’ils voyaient et entendaient à la cour du roi,
mon frère. Je sais par expérience que le plus brave peut aussi être le plus
lâche. C’est ce que m’a enseigné Merlin, et je ne fais que suivre ses conseils :
il faut toujours mettre les humains devant ce qu’ils croient être leur réalité,
car c’est là qu’on discerne les contours de leur âme. Mais ils ne sont
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