La fée Morgane
déjà soulagée. – As-tu
mangé, ce matin ? – Oui, un peu, et cela m’a réconfortée. » Le roi
hésita un instant, puis il dit : « J’ai envoyé mes meilleurs compagnons
à la recherche de Lancelot, car je suis sûr qu’il a besoin de notre aide. Il
est absent depuis si longtemps que j’ai bien peur qu’il ne soit retenu
prisonnier dans quelque forteresse lointaine. Mais Gauvain a juré qu’il ne reviendrait
pas sans lui. Quant à Yvain, Sagremor, Dodinel et Gaheriet, ils ont fait le même
serment. Même le duc de Clarence, qui vient tout juste de se joindre à nous et
qui ne connaît Lancelot que par sa réputation, a décidé de se lancer
immédiatement à sa recherche. Je ne doute pas du succès de leur entreprise. – Certes,
répondit Guenièvre, cette absence prolongée de Lancelot m’inquiète, et je suis
très heureuse que tu aies envoyé tes meilleurs compagnons à son aide. »
Mais, au fond de son être, la reine n’était pas convaincue
des paroles qu’elle prononçait. Elle savait bien que les chevaliers d’Arthur, quelque
braves et courageux qu’ils fussent, ne retrouveraient jamais Lancelot. C’est
pourquoi elle tenait tant à envoyer sa cousine demander l’aide de la Dame du
Lac : elle seule saurait ce qu’il fallait faire pour délivrer Lancelot des
pièges où il avait dû tomber. « Reine, reprit Arthur, puisque tu te sens
mieux, ne pourrais-tu pas quitter ta chambre et venir avec nous ? Il est
possible que nous apprenions des nouvelles réconfortantes. – Je suis encore
trop faible, répondit Guenièvre, et je préfère attendre encore un peu, car j’ai
peur de montrer un visage qui ne soit pas digne d’une reine. – Fort bien, dit
le roi. Repose-toi encore, Guenièvre. » Il salua la reine et sortit pour
rejoindre ses compagnons dans la grande salle où il avait fait dresser les
tables.
Pendant ce temps, les suivantes de la reine vinrent
retrouver celle-ci dans sa chambre, heureuses de la voir bien portante. Elles
lui prodiguèrent des soins attentifs, s’efforcèrent de lui redonner courage, mais
aucune de leurs consolations ne put vraiment faire renaître la joie dans le cœur
de Guenièvre. L’angoisse la tenaillait : elle ne savait pas si celui qui
était pour elle la source de toute joie était encore vivant. Cependant, ce
jour-là, grâce à la bonne humeur de ses suivantes, elle sentit renaître l’espoir
en elle et se montra plus gaie qu’à l’ordinaire. Elle n’oublia pas non plus de
préparer le voyage de sa cousine. Elle demanda le meilleur et le plus rapide
cheval, lui fit mettre un frein et une selle magnifiques.
Le matin suivant, aux premiers rayons du soleil, Guenièvre
se leva et prévint sa cousine qu’il était temps de se mettre en route et d’accomplir
sa mission, sous la protection de Dieu. La jeune fille s’habilla et se prépara.
La reine lui donna un vêtement neuf de soie vermeille, une tunique et un
manteau pour le voyage, et elle fit ranger dans un coffre un autre vêtement
plus riche, à porter lorsqu’elle serait reçue dans une cour. Elle la fit accompagner
d’un nain, fort disert, qui parlait plusieurs langues, et d’un écuyer brave et
hardi afin d’assurer sa sécurité. Elle lui recommanda de ne pas les mener avec
elle lorsqu’elle irait au lac, mais de les laisser au Moutier royal. La jeune
fille lui répondit qu’elle ne manquerait pas de suivre ses conseils.
Elle prit congé de la reine, vêtue des plus riches atours qu’eût
jamais eus une voyageuse. Guenièvre lui donna un baiser au moment du départ, en
lui rappelant d’aller prudemment pour mériter sa reconnaissance, ce que lui
promit la messagère. Elle partit alors sans plus tarder, et la reine monta sur
la plus haute tour de la forteresse pour la regarder disparaître dans la forêt,
par le chemin le plus direct. Quand sa cousine et son escorte furent hors de sa
vue, Guenièvre sentit que le cœur lui manquait. Elle dut s’asseoir précipitamment,
et elle se mit à pleurer, tant la souffrance qu’elle ressentait était forte.
Portant par hasard les yeux sur sa main, elle y vit l’anneau
d’or que la Dame du Lac avait donné à Lancelot quand elle l’avait envoyé à la
cour du roi pour y être fait chevalier. Elle le contempla longuement et se
souvint de celui qui le lui avait donné et pour lequel elle endurait tant de
maux. Sachant que Lancelot attachait grand prix à cet objet, elle le porta à sa
bouche, le baisa, comme si elle voulait
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