La fée Morgane
pas
encore assez nombreux dans ce val. J’en attends d’autres, et je suis sûre qu’un
jour ou l’autre, Kaï et Bedwyr, ou encore le roi Uryen, viendront se joindre à
cette troupe d’oisifs qui préfèrent rêver leur vie que de la vivre. »
Mais, parmi les hôtes du Val sans Retour, tous n’en étaient
pas au même degré d’hébétude. Il y en avait quelques-uns, surtout parmi les
nouveaux arrivés, qui se révoltaient, qui n’acceptaient pas leur sort et qui se
lançaient hardiment sur les pentes afin de trouver une issue. Mais, chaque fois
que l’un d’eux tentait l’aventure, on voyait surgir des flammes partout et l’on
entendait d’horribles cris qui semblaient monter de la terre, elle-même. Les
plus audacieux devaient renoncer, tant était grande la frayeur qu’ils
éprouvaient à se voir environnés d’ennemis invisibles qui déclenchaient contre
eux les foudres de l’enfer. Et Morgane s’en allait, riant aux éclats. « Les
hommes sont plus crédules que je ne pensais, se disait-elle encore. Ils
prennent les lueurs du soleil pour des flammes vomies par des dragons, les
rochers pour des murailles infranchissables, les ajoncs pour des monstres, les
cris des oiseaux pour les hurlements de tous les diables de l’enfer. S’ils
cessaient un seul instant de prendre au sérieux ce qu’ils voient ou entendent, ils
s’apercevraient qu’ils sont dans le fond d’une vallée offerte à tous les vents.
Il leur suffirait d’ouvrir les yeux. Mais ils ne le veulent pas, et c’est tant
pis pour eux. Pendant ce temps, mon cher frère, qui se croit le plus puissant
de tous les rois, n’en revient pas de voir disparaître un à un les guerriers qu’il
a si péniblement assemblés autour de lui pour maintenir l’intégrité de son
royaume. La belle affaire, en vérité. Je suis plus puissante que lui parce que
moi, Morgane, je connais les fils secrets qui relient les êtres entre eux. »
Elle avait à peine fini de prononcer ces paroles qu’elle
sentit l’anneau qu’elle portait au doigt se serrer si fortement qu’elle en
éprouva une atroce douleur. Elle poussa un cri et, sans plus tarder, tourna le
chaton de la bague. Elle entendit alors la voix de Merlin qui semblait surgir
du plus profond de la forêt : « Morgane ! Morgane ! Ne va
pas trop loin, car la patience de Dieu a des limites ! L’épreuve à
laquelle tu soumets les compagnons d’Arthur n’est pas mauvaise en soi puisqu’elle
leur permettra peut-être de se révéler tels qu’ils sont. Mais n’affirme pas ta
puissance en face de celle d’Arthur, car tu n’es pas en mesure d’infléchir le
destin. – Le destin ! s’écria Morgane, je ne fais que le provoquer. Nous
verrons bien ce qui arrivera. » Et, rageusement, Morgane retourna le
chaton de la bague avant de s’élancer dans la nuit qui s’ouvrait sous ses pas.
Le lendemain, vers le milieu du jour, alors que le roi
Arthur, en compagnie de Guenièvre, de Morgane et de plusieurs écuyers, faisait
une promenade sur le pré, devant la forteresse, un cavalier arriva au grand
galop. Parvenu à la hauteur du roi, le cavalier arrêta net l’élan de son cheval,
mit pied à terre, enleva son heaume et s’avança. Le roi reconnut aussitôt
Galessin, le duc de Clarence, qui avait décidé, de son propre chef, de se lancer
à la recherche de Lancelot. « Eh bien, Galessin, dit Arthur, m’apportes-tu
des nouvelles ? Sais-tu où se trouve Lancelot ? – Non, répondit
Galessin, mais j’ai beaucoup de choses à te raconter. – Alors, allons nous
asseoir sous cet arbre, près de la fontaine. »
Ils y allèrent. Après avoir repris son souffle, Galessin
parla ainsi : « Quand j’ai quitté la cour, roi, je me suis engagé au
hasard dans la forêt et j’ai interrogé tous ceux que je rencontrais, bûcherons,
pasteurs ou écuyers, pour tenter de savoir si un chevalier blessé ou prisonnier
ne se trouvait pas dans les environs. Mais personne n’a pu me répondre. Je fus
ainsi trois jours et trois nuits à errer, jusqu’à la veille de la Pentecôte. Là,
je me trouvai dans une grande plaine sillonnée par une rivière et, non loin de
là, se dressait une forteresse qui ne me sembla pas de bon augure. Effectivement,
lorsque je parvins auprès de celle-ci, j’aperçus des chevaliers qui se
battaient avec acharnement. Grâce à leurs armes, je reconnus ton neveu Gauvain
et Yvain, le fils du roi Uryen. Ils étaient aux prises avec une troupe de cavaliers
vêtus
Weitere Kostenlose Bücher