La fée Morgane
avec celui pour
qui tout son corps brûlait de désir. Elle s’attarda si longtemps et émit tant
de soupirs et de cris que sa cousine se réveilla. Ouvrant les yeux, elle
aperçut la reine qui tenait la statue embrassée, en proie à une irrésistible
frénésie. Elle pensa immédiatement que la reine était en proie à un sortilège
et qu’il y avait quelque diablerie là-dessous. Elle se précipita à la recherche
d’eau bénite, et quand elle en eut trouvé, elle la lui jeta en pleine figure, lui
disant dans son affolement : « Dame, voici le roi ! Retourne
vite dans ton lit ! » Prise de peur en entendant ces paroles, la
reine, qui redoutait toujours que le roi ne la surprît en compagnie de Lancelot,
reprit immédiatement ses esprits, retourna vers le lit, se coucha et, brisée
par la fatigue et l’émotion, s’endormit pour ne se réveiller qu’au matin.
Elle se sentit alors en meilleure santé, d’un meilleur moral
qu’elle ne l’avait été depuis longtemps. Quand elle eut bu et mangé, elle
comprit qu’il n’y avait dans cette chambre personne d’autre qu’elle-même et sa
cousine. « Belle amie, lui dit-elle, si je savais que tu t’acquitterais
comme il faut d’un message, je t’en chargerais. Mais pour cela, il faudrait
beaucoup de sagesse et de prudence, autrement ce serait peine perdue, et nous
en aurions toutes deux de grands désagréments. À part toi, je ne connais
personne pour s’en acquitter, car l’affaire me tient trop à cœur. – Dame, répondit
la jeune fille, je suis prête à faire pour le mieux de ce que tu m’ordonneras, et
aucune femme ne serait plus discrète que moi à propos de tes soucis s’il te
plaît de me les confier. C’est tout naturel : je suis ta plus proche
parente, et je n’ai que du bien à attendre de toi. Si, par malheur, tu venais à
me manquer un jour, je serais seule au monde, sans aucune famille. Aussi te servirai-je
de mon mieux et de toutes les façons qu’il te plaira, afin de mériter ton
affection et tes faveurs. – Certes, si tu me donnes les preuves d’une parfaite
loyauté, tu n’auras pas à le regretter, et je te ferai plus de bien que jeune
fille de bonne famille n’en reçut d’une reine. » La cousine fit le serment
de servir fidèlement la reine, dût-elle mettre ses propres jours en danger.
Guenièvre réfléchit un long moment, puis elle fit signe à sa
cousine : « Fille, dit-elle, il te faudra aller demain de l’autre
côté de la mer. Là, tu chercheras une forteresse qu’on connaît sous le nom de
Trèbe. Près de cette forteresse, se trouve un monastère appelé le Moutier royal.
Il a été fondé en mémoire du roi Ban de Bénoïc qui y mourut, et se dresse au
sommet d’une colline. Au-dessous, dans la vallée, il y a un lac. Quand tu
arriveras sur le bord de l’eau, il te faudra continuer sans aucune crainte. Pénètre
dans le lac avec assurance, car ce n’est que sortilège. Si tu as assez de
courage pour cela, vas-y hardiment. Mais si tu n’es pas sûre de toi, attends le
moment où tu verras quelqu’un y pénétrer. Dans ce cas, suis-le et ne perds pas
sa trace, sinon tu n’accompliras pas bien ta mission. Dans le lac, tu trouveras
de belles maisons, en grand nombre, de belles salles, des gens courtois et
sages. Tu demanderas alors la dame qui régit ce domaine : elle se nomme
Viviane, mais on l’appelle la Dame du Lac. Tu lui diras que tu es de ma famille,
que je t’envoie à elle pour lui demander son aide, au nom de celui qu’elle a
élevé si tendrement. Et tu lui expliqueras alors que Lancelot a disparu, que je
me désespère sur son sort, et que je crains les sortilèges de Morgane. »
Puis elle lui indiqua le chemin à suivre car, bien que n’étant jamais allée
chez la Dame du Lac, elle en avait beaucoup appris à ce sujet de la part de
Lancelot lors de leurs entretiens. Il lui avait si bien décrit les lieux de son
enfance qu’elle savait qu’elle ne pouvait se tromper. « J’accomplirai
consciencieusement ce que tu me demandes, répondit la jeune fille, et tu seras
satisfaite de ma mission. – Fort bien, dit la reine. Si tu agis selon mes
désirs, ta vie en sera complètement changée. »
Sur ces entrefaites, le roi entra, et quand il vit la reine
assise, il fut très content, car on lui avait appris qu’elle était souffrante.
« Comment te sens-tu, reine ? demanda-t-il. – Seigneur roi, fort bien,
Dieu merci. Je ne suis pas aussi malade qu’hier et je suis
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