La Fille de l’Archer
spectacle.
— Ça va être pour bientôt ! prévient-il avec un accent si lourd que Wallah a du mal à comprendre le sens des mots.
Parfois, le patois parlé dans les campagnes est si complexe qu’il sonne comme une langue inconnue. Le royaume de France n’est qu’une addition de provinces étrangères les unes aux autres, qui au pire se détestent, au mieux s’ignorent. Autant de minuscules pays, autant de roitelets ombrageux et avides.
— Maintenant ! lance le valet.
Bézélios entre dans l’arène. Sa barbiche tressée dardée tel le rostre d’une galère barbaresque, la démarche impériale, s’appuyant sur cette haute canne sculptée à l’égyptienne dont le bourdon figure une tête de cobra au capuchon gonflé. Il s’incline puis débite son boniment habituel sur les terres inconnues, les zones blanches de la carte du monde, insistant sur ce que de hardis explorateurs peuvent découvrir au-delà de cette frontière qui, sur les atlas, indique qu’ ici commence le pays des dragons . N’importe qui sait que la Terre est plate, bien sûr, mais peu de gens ont marché jusqu’à l’endroit où elle s’arrête, telle une falaise, et où il suffit d’un pas de trop pour tomber dans l’abîme du ciel.
Il parle bien, avec la faconde d’un aède ; il a le don de gonfler les mots les plus simples comme on souffle dans une baudruche. Pourtant la sauce ne prend pas. Wallah le sent. Les chevaliers, trop occupés à palper les rondeurs des dames, ne l’écoutent pas. Le vin a fait son office, embrumant les cervelles. Les chiens flairent cet intrus qui leur déplaît et montrent les crocs. Malvers de Ponsarrat paraît statufié au bout de la table, la babine mauvaise, l’œil noir.
En désespoir de cause, Bézélios fait signe aux monstres d’avancer. Le loup-garou, l’homme-poisson… Ils clopinent entre les branches du U dessiné par les tables du banquet.
La lumière des flambeaux se fait complice, ses lueurs dansantes gomment les défauts des costumes, l’illusion s’installe sans trop de mal. Peut-être est-ce justement ce qui va déclencher le drame ? Les molosses dressent les oreilles et découvrent les dents, sans doute mis en alerte par les odeurs curieuses émanant de ces personnages velus qui éveillent dans leur cervelle des images de sangliers, de cerfs et d’hallali. D’instinct, la meute se reconstitue, flanc contre flanc, pour affronter l’envahisseur. Quels sont ces animaux qui vont sur leurs pattes postérieures, comme les humains, mais dont la fourrure évoque celle des ours ? Des ours ! Qu’importe, la meute n’a peur de rien, elle est capable de s’acharner sur des prédateurs dix fois plus gros qu’elle. Elle sait que le nombre joue en sa faveur ; au final, en dépit des pertes, elle aura le dessus.
Devant ces grondements, les frimants hésitent, quêtent une aide du côté de Bézélios. Malvers de Ponsarrat sort brusquement de son immobilité minérale et sourit ; cet imprévu lui plaît. Autour de lui, ses vassaux ricanent, délaissent les dames pour reporter leur attention sur les chiens, car rien ne vaut la chasse, n’est-ce pas ?
Certains, qui connaissent les noms des dogues, les excitent de la voix et du geste. Bézélios tente de ramener le calme ; peine perdue, on ne l’écoute plus. Les serviteurs eux-mêmes rient à gorge déployée. Ah ! Vrai ! la farce est bonne ! Les bestiaux d’outre-monde boulottés par les cabots ! On voudrait voir ça !
Soudain, le plus gros des molosses s’avance vers le loup-garou pour lui flairer les jambes. Toute cette peau de sanglier le met en appétit. Le garçon recule, heurte l’homme-poisson qui perd l’équilibre et s’étale, faisant craquer le corset de galuchat qui l’enveloppait comme une momie. Le dogue plante ses crocs dans le mollet du garou, arrache la fourrure mal collée, revient à la charge, mord cette fois en pleine chair. Le sang et le fumet du poil de sanglier lui font perdre la tête, il s’acharne.
Le rire des vassaux roule, faisant le tour de la table. Malvers de Ponsarrat lui-même se tient les côtes. À terre, le frimant hurle de douleur, le mollet en charpie. On voit l’os luire par endroits.
Bézélios n’ose s’interposer, il sait que les chiens lui sauteront à la gorge. Enfin, Malvers repousse sa cathèdre seigneuriale et se lève, il frappe dans ses mains et lance un ordre. Comme les dogues n’obéissent pas, il leur expédie de grands coups de pied dans les
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