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La Fille de l’Archer

La Fille de l’Archer

Titel: La Fille de l’Archer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Serge Brussolo
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autres. Ne te fais pas remarquer, applique-toi à mener une vie paisible, épouse un honnête garçon, et, surtout, cache tes cheveux. Ils sont trop blonds. Personne dans ce pays ne les a d’une telle couleur, pas même les Normands ou les Bretons 6 .
     
    Wallah doit se contenter de ces monologues sans queue ni tête, et si elle exige des explications, le père se fâche. Ainsi elle ignore qui elle est, d’où elle vient. Et il semble capital qu’elle ne l’apprenne jamais, ce qui est loin de satisfaire sa curiosité.
    Depuis que Gunar est malade, elle ne le harcèle plus. Elle s’est fait une raison. Seul le présent compte. Sans doute ne saura-t-elle jamais qui a été son père, cet homme qui semble avoir eu plusieurs vies et de multiples identités, ce fuyard poursuivi par des fantômes. Quel crime, quel sacrilège a-t-il commis ? De quelle obscure vengeance est-il l’objet ?
    Elle devra, bientôt, se résigner à l’ignorance, tirer un trait sur toutes ces interrogations… et apprendre à ne plus regarder derrière elle tous les vingt pas ! Si elle y parvient, elle réussira peut-être à devenir comme les autres, à se fondre dans la masse.
    L’ennui, c’est qu’elle n’est pas certaine d’en avoir envie.
    1 - Charles VI souffrait d’un trouble bipolaire se traduisant parfois par des pulsions meurtrières (incident célèbre de la forêt du Mans).

    2 - Littéralement : « la fin des puissances ».

    3 - Ou orang-outan.

    4 - Infirme, Mal bâti, en vieux norrois.

    5 - Comédiens se contentant d’apparitions muettes ou jouant le rôle de comparses.

    6 - Les Anglais.

2
    La troupe s’est retirée à l’abri des coulisses, cette tente dont l’accès était jadis gardé par Gunar. Il ne faudrait pas, en effet, qu’un galopin ait l’idée de venir épier les femmes par une déchirure de la toile car il risquerait de surprendre des secrets compromettants. C’est là, dans la moiteur des corps échauffés par l’inquiétude, que Bézélios élabore ses « maquillages », ses travestissements. Tout est bon pour fabriquer un monstre acceptable : les cornes, le poil de chèvre, la fourrure de chien ou de lapin plaquée sur la peau de l’acteur à grand renfort d’une colle – mélange d’eau, de blanc d’œuf et de farine – qui réduit à petit feu sur un fourneau.
    — Le grand secret est de faire vrai ! radote le maître dont la nervosité croît au fur et à mesure qu’approche l’heure de la parade.
    Garçons et filles attendent, nus, qu’on les badigeonne de colle brûlante avant de les envelopper de pelage et d’attributs factices : tétons, griffes, groins, sexes démesurés qui battent entre leurs cuisses comme des andouilles d’une coudée.
    — C’est bien ! approuve Bézélios. (Puis, la seconde d’après :) Non ! ça ne va pas, on voit les coutures !
    Les habilleuses s’activent, la sueur au front. Il y a la mère Javotte et ses deux filles, Mariotte et Mahaut, bonnes couturières, putains à leurs heures ; mère et filles œuvrant sur la même couche pour satisfaire les paysans qui se bousculent.
    Elles n’adressent la parole à Wallah que pour lui jeter des ordres secs. C’est qu’elles excellent dans leur métier et qu’elles ne sont plus pucelles depuis longtemps, elles  ! Wallah se contente de passer les peaux, les fourrures, les cornes, les groins, les crêtes…
    Le plus difficile à réussir, c’est l’homme-poisson, à cause des écailles vernissées 1 qu’il faut coller par bandes et qui ont tendance à se déchirer. Néanmoins l’effet est sublime ; surtout lorsqu’il est complété de nageoires et de mains palmées.
    — Rappelez-vous ! clame Bézélios, pas de gestes brusques ; ne répondez jamais si on vous interpelle. Évitez les lumières vives, les torches. Le clair-obscur est notre meilleur atout, il cache les défauts du costume et ajoute au mystère.
    Il se répète ; personne ne l’écoute, tout le monde a une boule dans l’estomac.
    Enfin prêts, les monstres se faufilent hors du cabinet de travestissement pour grimper dans le chariot bâché qui va les transporter au château, à l’abri des regards curieux de la foule. Bézélios a fait atteler le cheval de trait, on n’attend plus que l’escorte du seigneur de Ponsarrat pour s’ouvrir un passage à travers la canaille agglutinée.
    Wallah et les costumières sont du voyage car il faut prévoir les raccords de dernière minute, la couture qui craque,

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