La Fille de l’Archer
mais percé le poumon. Le coup est mortel. Gérault étouffe déjà dans son sang. Jehan arrache le bâillon.
— Fuyez…, balbutie l’intendant. Il… il arrive… il est derrière moi… Le chien… le chien d’enfer l’accompagne… Fuyez… il a tué tout le monde au château. Rien pu faire…
Il meurt sur ce dernier mot. Jehan demeure pétrifié. Wallah le secoue pour le ramener à la réalité.
— C’est fini ! lance-t-elle. Viens, il faut retourner dans les ruines, trouver une cachette et s’y barricader.
Le chien d’enfer… Elle l’a vu, la première nuit qu’elle a passée au château. Elle se rappelle l’énorme dogue couturé de cicatrices rôdant dans les couloirs à la recherche de l’homme qu’on lui avait ordonné de tuer. Un chien de guerre, dressé pour la bataille. Filant au ras du sol, lui et ses semblables échappent aux coups d’épée des cavaliers. Des fauves ignorant la peur…
Jehan se relève. Titubant, il suit la jeune fille qui bat en retraite vers les ruines.
Ils se sentent démasqués et vulnérables. La panique s’est emparée d’eux, les empêchant de réfléchir. Revenant sur leurs pas, ils s’engouffrent dans le château et, après avoir allumé un flambeau, se mettent en quête d’un lieu où se barricader. Wallah se répète que ce n’est pas ainsi qu’ils devraient se comporter mais l’image du chien de guerre lui dévore l’esprit. Elle sait qu’elle aura du mal à le tuer, car ces bêtes sont dressées à éviter les flèches. Leurs réflexes étant beaucoup plus rapides que ceux des humains, cela ne leur est guère difficile.
Jehan court, la torche brandie, semant étincelles et flammèches dans son sillage.
L’obscurité leur complique la tâche. Ils réalisent soudain que les pièces qu’ils traversent n’ont plus de portes ! Gonds et charnières pendent dans le vide.
— Les survivants les ont brûlées ! balbutie l’écuyer. Par Dieu ! Ils les ont brûlées pour se chauffer au lendemain de la catastrophe…
Recouvrant son sang-froid, Wallah lance :
— Je sais où il en reste une ! Viens.
Sans trop tâtonner, elle retrouve la chambre des amants. Là, le battant est intact, comme si personne n’avait osé violer l’intimité du couple uni dans la mort.
— Ici ? glapit Jehan. Tu n’as rien de mieux à proposer ?
— On n’a plus le temps, murmure Wallah, écoute…
Amplifié par l’écho des voûtes leur parvient un cliquetis de griffes. Le chien est derrière eux. Il se rapproche. Jehan cesse aussitôt de tergiverser. Ils s’engouffrent dans la pièce et entreprennent de barricader la porte en déplaçant le lit sur lequel gisent les corps enlacés. La couche en chêne massif pèse autant qu’un cheval mort ; ils ont bien du mal à la faire glisser sur les dalles rugueuses. La porte s’ouvrant uniquement vers l’intérieur et se trouvant désormais bloquée par le sommier, ils peuvent se considérer à l’abri du molosse. Pour plus de sécurité, Wallah abaisse le loquet.
La peur et l’effort physique ont réchauffé les fuyards. Ils échangent un regard hébété.
— Le flambeau…, fait observer l’adolescente. Il va manger tout l’air. Éteins-le.
Elle a raison. Seule une mince meurtrière assure l’aération de la chambre, ou du moins assurait le renouvellement de l’air avant que neige et glace ne l’obturent.
Jehan se précipite vers l’ouverture, essaye de la dégager à coups de poignard.
— Impossible, constate-t-il. C’est pétrifié. Nous nous trouvons sous la surface. Ensevelis. Il doit y avoir dix coudées de neige durcie au-dessus de nos têtes.
— Là…, fait Wallah. Il y a trois cierges. Allume le plus gros.
La mort dans l’âme, Jehan doit se résoudre à étouffer la torche sous sa semelle. Puis il s’assied sur le sol, le dos à la muraille.
Retenant leur souffle, ils tendent l’oreille, guettant le cliquetis des griffes. Wallah se reproche d’avoir cédé à la panique. Ils se sont comportés en idiots, ils auraient dû faire face. Mais elle doit s’avouer qu’elle a été perturbée par la mort de Gérault ; ce n’est pas lui qu’elle voulait tuer, et elle n’est pas assez endurcie pour considérer cette erreur avec la nonchalance d’un archer blanchi sous le harnois.
Anne de Bregannog est peut-être vieux, mutilé, mais il est rusé. En les amenant à tuer l’un de leurs compagnons, il les a déstabilisés. Son image de spectre insaisissable
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