La Fille de l’Archer
en sort renforcée.
— Et maintenant ? chuchote-t-elle. Qu’est-ce qu’on fait ?
Jehan ne répond pas. Il respire avec difficulté et fixe le couple enlacé. Le givre fond sur leur peau, créant l’illusion qu’ils transpirent en dormant, foudroyés par le plaisir.
— C’est la chaleur du flambeau, bredouille-t-il. Il a réchauffé l’air…
— Cesse de les lorgner ! grogne Wallah. Ils ne te feront rien, ils sont morts depuis vingt-cinq ans ! Nous avons d’autres soucis.
C’est vrai. Le froid, d’abord, qui ne va pas tarder à les engourdir. Pour chauffer la chambre il faudrait allumer un feu dans la cheminée, mais le conduit d’évacuation est à coup sûr bouché par la glace, et la fumée les asphyxierait.
Ensuite, il y a le chien qui va vite localiser l’endroit où ils se terrent et s’installer devant la porte, tel Cerbère. Soit, il ne pourra pas entrer, mais ils ne pourront pas davantage sortir !
Se décidant enfin à bouger, Jehan entreprend de débarrasser l’âtre des planches à demi calcinées qui s’y trouvent entassées. Il veut examiner le conduit, voir s’il n’y aurait pas moyen de s’enfuir par là…
— Trop étroit, annonce-t-il enfin. Si menue que tu sois, tu n’y passerais pas.
Un aboiement sourd résonne de l’autre côté de la porte. Le dogue les a trouvés. Il saute contre le battant, essayant de le pousser, mais la barricade du lit l’en empêche. Après trois essais infructueux, il renonce et s’embusque sur le seuil. Wallah et Jehan l’entendent haleter.
— Est-ce qu’on pourrait tenter une sortie ? hasarde la jeune fille.
— Non, grogne l’écuyer. Je connais ces animaux, je les ai vus à l’œuvre dans les batailles. Le ventre ouvert, semant leurs entrailles, ils continuent à se battre… Il faudrait réussir à le tuer du premier coup, mais ce sera difficile. Te sens-tu capable de lui expédier une flèche dans l’œil à l’instant où il bondira par l’entrebâillement de la porte ?
Wallah cherche l’arc du regard. Elle sursaute.
— Mon carquois est vide ! bredouille-t-elle. Ça a dû se produire quand j’ai sauté du haut des créneaux. À cause de la neige je n’ai pas entendu tomber les flèches.
— Alors c’est fichu ; mon épée est restée dans l’échauguette. Je n’ai pas voulu prendre le risque de bondir dans le vide en la tenant à la main, c’était un coup à s’empaler.
Il se tait, accablé.
— Je n’ai que mon couteau, reprend-il enfin. Mais ce serait de la folie. Se battre au corps à corps avec ce genre de molosse relève du suicide. Ils sont rapides, dressés à attaquer leur adversaire aux couilles… La douleur est telle qu’elle vous paralyse. C’est pour cette raison qu’on les craint. La peur de l’émasculation met en fuite bien des soldats qui, par ailleurs, se résigneraient sans trop rechigner à perdre un bras ou une main.
Wallah claque des dents. Le froid la pénètre jusqu’aux os. S’ils ne trouvent aucune solution, ils seront bientôt aussi raides que les amants statufiés sur le lit.
— Sans chauffage on ne survivra pas plus d’une nuit, dit-elle. La mort nous prendra pendant notre sommeil. Il faut allumer un feu.
— La fumée nous étouffera, proteste Jehan. La neige bouche le conduit.
— Peut-être pas sur toute la hauteur, objecte Wallah. Il est possible que le bouchon soit simplement posé au sommet du conduit, comme un chapeau. Dans ce cas la chaleur dégagée par les flammes le fera fondre… On peut récupérer du bois dans cette chambre. Casser en morceaux la tête de lit, par exemple… Qu’est-ce qu’on risque ? Si l’on ne fait rien, le froid nous tuera de toute façon.
Ils se taisent car un bruit de pas s’élève dans le corridor, se rapprochant. Anne de Bregannog, à n’en pas douter. Reconnaissant son maître, le chien de guerre pousse un jappement sourd.
Deux coups ébranlent la porte, frappés avec le pommeau d’une épée.
— Vous êtes là, mes tourtereaux ? ricane une voix rauque. Ah ! je constate que vous avez choisi la meilleure chambre. J’espère que vous vous êtes mis au lit ? Rien ne vaut de s’amuser à quatre entre les draps, sinon à cinq ou six ! Il était grand temps qu’un peu de nouveauté vienne égayer les jeux de Michel et Margot, ils devaient commencer à s’ennuyer… Oui, Michel et Margot, c’étaient leurs noms. Lui un fier chevalier, elle une catin délicieusement experte pour ses quatorze
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