Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Fille de l’Archer

La Fille de l’Archer

Titel: La Fille de l’Archer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Serge Brussolo
Vom Netzwerk:
ans. Vous avez fait connaissance avec tous mes vieux compagnons… Ils sont restés tels qu’au jour de leur mort, quand, après qu’ils eurent brûlé tout ce qui pouvait fournir un semblant de chaleur, le froid les a raidis pour l’éternité. J’aime les regarder, mais ils ne sont guère causants. J’ai vieilli, eux non. C’est l’avantage de mourir dans les glaces. La vue de ces belles catins restées jeunes m’enchante l’œil et peuple ma solitude. Parfois j’aimerais les déshabiller, mais en arrachant leurs vêtements je risquerais de les briser comme des statues de cristal, ce serait dommage.
    Agacée par cette faconde, Wallah ne peut s’empêcher de crier :
    — Pourquoi n’êtes-vous pas mort avec eux ?
    — Je n’étais pas au château, répond Anne de Bregannog. Je traquais l’ours sur un pic voisin.
    — Mais vous avez déclenché l’avalanche au moyen de la flûte magique…
    — Serais-tu sotte, la fille ? Bien sûr que non ! Je ne suis pas stupide. Je suppose que l’un de mes compagnons l’a fait, en mon absence. Il a dû trouver flûte et partition dans mes appartements. Il s’est amusé, par désœuvrement, à jouer le morceau, sans se douter de ce qu’il allait déclencher. Ou bien il l’a fait par provocation, pour jouer les esprits forts, ou encore parce que l’ivresse lui embrumait la cervelle… Ou bien une garce qui s’ennuyait a voulu se distraire. On peut tout imaginer. Quoi qu’il en soit, la musique a rempli son office. L’avalanche a tout englouti. C’est un miracle qu’elle ne soit pas descendue plus bas, balayant également le château de mon frère. Quand je suis revenu, trois jours plus tard, j’ai eu beaucoup de mal à m’introduire dans les bâtiments. J’ai creusé dix tunnels avant de trouver une brèche dans la muraille. Mais il était trop tard, le froid avait déjà tué mes joyeux débauchés. Ces immenses bâtisses sont difficiles à chauffer, et je ne possédais guère de mobilier. Baste ! C’est le passé… Je suis un soldat, je sais m’accommoder de ces situations. J’ai décidé de camper dans les ruines. Je me suis organisé. Cette vie n’était pas pour me déplaire.
    — Votre neveu vous a aidé…
    — Bien sûr ! Ornan… C’était un adolescent délicieux, tout moi à cet âge. Des dispositions exceptionnelles. Le fils que j’aurais voulu avoir. Avec lui je me sentais plus jeune. Nous avions les mêmes goûts.
    — Le meurtre ! Le vice ! hurle soudain Jehan en se redressant, les poings serrés.
    — C’est ton point de vue, assassin ! gronde Anne de Bregannog. Les empereurs de l’Antiquité romaine appelaient cela des jeux, tout simplement. Quant à toi, je n’ai jamais compris pourquoi Ornan t’avait pris pour écuyer : tu n’es qu’un lâche, une femmelette… Sous prétexte qu’il bousculait quelque peu ses serfs, tu as osé assassiner un chevalier exceptionnel, un héros qui s’était illustré à Azincourt.
    — Il les torturait, les massacrait !
    — Et alors ? On tue bien les animaux ! Les serfs ne sont guère plus que des bêtes douées de parole. Les nobles paient l’impôt du sang, en contrepartie tout leur est permis. Nous ne rechignons pas à mourir pour le roi, pourvu qu’il ferme les yeux sur nos distractions. C’est sa faute si nous nous ennuyons. Il n’a qu’à déclarer plus souvent la guerre à nos voisins ! Nous ne sommes pas taillés pour la danse et les chansons, il nous faut des jeux autrement pimentés. C’est ainsi qu’on nous a fabriqués. On ne nourrit pas des chiens de guerre avec de la soupe aux navets !
    À la lueur de la bougie, Wallah voit Jehan trembler de peur et de rage.
    — Tu as tué Ornan pour de mauvaises raisons, reprend Anne, un ton plus bas. Les derniers temps il se méfiait de toi, il me l’a confié. Mais il pensait te tenir parce qu’il t’avait rendu complice de ses jeux. Allons ! ne joue pas les pucelles ! Je sais que les scrupules te sont venus sur le tard, alors que tu avais déjà largement profité des distractions organisées par Gérault. Vous n’étiez pas des anges.
    — C’est faux ! C’est faux ! balbutie Jehan.
    Mais, à son air coupable, Wallah comprend qu’Anne dit la vérité.
    — Il te faut payer pour ce crime, gronde Anne. On ne peut impunément laisser des rats assassiner un lion. Ce serait contraire à l’ordre des choses. Tu ne mérites pas de connaître une mort honorable. Non, tu dois périr dans la honte,

Weitere Kostenlose Bücher