La Fille Du Templier
bafouilla :
— Mais où crois-tu que je me rende ?
— Dans la tour du Dragon provoquer un scandale.
— Quelle idée… Tu déraisonnes.
— Non, je suis lucide et je ne suis pas la seule dans
ce château. Ne te défends pas, tu caches mal ton intérêt pour le chevalier et
ta jalousie envers Aubeline. Tes regards, tes gestes, ta voix te trahissent dès
que tu es en leur présence. Tu vas devenir comme la comtesse de Dye si tu
continues ainsi. Jean et Aubeline se sont choisis, tu n’y peux rien. Je t’en
conjure, retourne dans ta chambre.
Bertrane couvrit les quelques pas qui la séparaient du
battant et s’y adossa, les larmes aux yeux. Son sang puisait à ses tempes ;
elle aurait voulu mourir.
— Alix… Si tu savais, Alix… comme c’est dur.
— Je suis là pour t’aider.
Alix s’approcha de Bertrane et lui serra chaleureusement les
mains.
— Dis-moi tout.
— Je… je l’aime. C’est un tourment de chaque instant. J’aurais
tant voulu qu’il soit mien. J’ai quelquefois des envies de meurtre… Je pense à
des poisons que me vendraient les sorcières et que je verserais dans la coupe d’Aubeline.
Que Dieu me pardonne ! Mon amour pour cet homme est impossible, j’en suis
consciente. Il y a Aubeline dans son cœur et je suis la dame de Signes, l’exemple
même de la fidélité et de la chasteté.
— Tu es encore jeune et le comte Bertrand ne vivra pas
éternellement. Il le sait. Il se prépare en conséquence en priant plus que de
raison. Viendra le jour de ta délivrance, puis celui de l’amour. Les
prétendants assiégeront ce château quand tu seras veuve.
— C’est Jean que j’aime ! Sans Aubeline, je me le
marierais !
— Que si maido per amoura boueno nucch et marri jour.
Ce « Qui se marie par amour a bonne nuit et mauvais
jour » laissa Bertrane songeuse. À l’inverse, ce dicton disait vrai. Elle
ne s’était pas mariée par amour avec Bertrand. Depuis cette union, elle se lamentait
d’être seule la nuit alors que le jour elle rayonnait à la cour.
— Il est bizarre que j’aie pu prononcer un « oui »
devant un prêtre ; je ne m’en souviens pas ! Mon mariage avec
Bertrand n’a aucune valeur puisqu’il n’est pas consommé. Je considère que je
suis libre.
— Il reste des écrits !
— Ça se brûle !
— Et des témoins !
Bertrane n’osa pas répondre « ça se tue ». Elle le
pensa. Si fort que la jeune Alix le devina.
— Tu l’aimes réellement ; c’est indiscutable. Pourtant
il te faudra l’oublier.
Les larmes coulèrent à nouveau. Tout était clair. Elle
devait s’effacer devant Aubeline. Jean d’Agnis avait fait son choix et elle le
respecterait. Alix avait raison : un autre homme viendrait et lui
chavirerait les sens, mais elle n’attendrait pas d’être veuve pour se donner à
lui. Sa décision était prise.
— Viens avec moi, dit-elle à son amie.
Sous le regard perplexe d’Alix, Bertrane entra dans sa
chambre, ouvrit un coffre et le fouilla jusqu’à ce qu’elle trouve une bourse de
cuir.
— La voilà. Je veux que tu jettes cette bourse dans le
trou de Maramoye, elle contient ma bague de fiançailles et deux bracelets que m’a
offerts Bertrand.
— Le trou de Maramoye ? Là où se font et se défont
les serments ? demanda Alix avec appréhension.
— Oui, tu iras demain…
— L’endroit n’est pas sûr.
— Tu t’y rendras avec cet Ancelin qui te suit partout, mais
surtout promets-moi de ne pas trahir mon secret. Personne ne doit savoir ce que
contient cette bourse.
— Je te le promets.
C’était au tour d’Alix Gonter de Dardanus de s’interroger
sur l’amour. Les attentions de l'écuyer avaient fini par porter leurs fruits, elle
n’était pas indifférente à la cour chaste qu’il lui faisait avec maladresse.
L’horizon blanchissait lentement. L’aube hivernale était
porteuse d’événements terribles, ainsi que l’annonçait la brume se tordant sur
les collines.
— On croirait des serpents, dit Alix à Ancelin.
Ancelin regarda le disque blanc du soleil qui tentait de
percer les nuées. Il trouvait le spectacle fascinant. Le paysage était d’une
beauté inquiétante, mais il se sentait dans la peau d’un preux chevalier :
il avait Alix à ses côtés. Il ne lui avait posé aucune question quand elle s’était
présentée à Château-Vieux pour lui demander assistance. La surprise passée, la
joie l’envahissant, il l’avait suivie sans se
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