La Fin de Pardaillan
faire.
Il s’inclina froidement et alla s’accoter nonchalamment à la porte, tenant sous le bras l’épée de son maître.
Pendant cette intervention, Concini avait opéré une manœuvre : nous avons dit qu’il était descendu de l’estrade. A ce moment, il se trouvait presque à la tête du lit qu’il avait à sa droite. Pendant que Valvert et Landry Coquenard discutaient, il avait avancé insensiblement, et de la tête du lit, il se trouvait avoir passé au pied. Et il faut croire qu’il attachait une singulière importance à ce déplacement, si minime qu’il fût, car, l’ayant heureusement exécuté, un sourire de satisfaction passa furtivement sur ses lèvres, et il jeta, à la dérobée, un regard sur sa gauche, comme s’il mesurait la distance qu’il avait encore à franchir pour contourner complètement le lit. Déjà, avec la même adresse sournoise, il essayait de poursuivre sa manœuvre.
Valvert ne lui laissa pas le temps d’aller plus loin. Revenant à lui, avec un accent de fureur concentrée, il le défia :
– Tu as ma parole que celui-ci n’interviendra qu’après ma mort… si tu me tues. Tu as ton poignard, j’ai le mien. C’est donc un combat loyal, à armes égales, d’homme à homme, que je t’offre. Défends-toi.
Et comme Concini, malgré lui, jetait un regard oblique sur sa gauche, paraissait hésiter, dans un grondement menaçant, il ajouta :
– Défends-toi, ou, par le Dieu vivant, je jure que je vais t’égorger ! Cette fois, Concini n’hésita plus. Il tomba en garde pour toute réponse. Un instant, les deux rivaux se mesurèrent du regard, avec des visages flamboyants, animés tous les deux de la même implacable volonté de tuer.
Ce fut Concini qui attaqua le premier. Il porta son coup avec une sorte de rage impétueuse. Mais il semblait que ce coup était destiné à s’ouvrir un passage plutôt qu’à tuer. En effet, en même temps qu’il le portait, il faisait un bond prodigieux de côté. Toujours sur sa gauche.
Et ce bond l’amenait presque à l’extrémité de la balustrade qui entourait l’estrade, au pied du lit.
Valvert para. Et il fit un bond égal sur sa droite. En sorte que Concini le retrouva instantanément devant lui. Il para, mais il ne rendit pas le coup. Sans en avoir l’air, il avait très bien vu la manœuvre de Concini et il suivait l’aboutissement de cette manœuvre avec une attention aiguë en se disant, l’esprit en éveil :
« Il médite un coup de traîtrise. Mais quoi ?… »
Une deuxième fois, Concini frappa. Et, comme pour la première fois, il frappa pour se faire de la place et fit un nouveau bond à gauche. Cette fois, il avait complètement contourné le lit. Alors, séance tenante il se mit à reculer lentement, cessant d’attaquer. Et ce mouvement de recul, lent, mais ininterrompu, devait le ramener à la tête du lit, par conséquent au mur qui se trouvait là. Alors Valvert comprit la manœuvre. Il gronda dans son esprit :
« Il y a là une porte secrète où il espère fuir !… Si je le laisse faire, je suis perdu, et elle avec moi !… »
Et il ne le laissa pas faire. Brusquement, il se détendit comme un ressort, sauta sur Concini, l’étreignit à pleins bras.
Un juron de désappointement furieux. Un éclat de rire railleur. Un piétinement frénétique. Les convulsions violentes de deux êtres étroitement enlacés qui cherchent à s’étouffer mutuellement. L’éclair blafard de deux lames d’acier qui cherchent un jour, par où elles pourront frapper le coup mortel. Un hurlement de rage et de terreur. Concini était à terre. Le genou de Valvert pesait lourdement sur sa poitrine. Sa main gauche le serrait à la gorge, le clouait sur le tapis, et sa main droite, dans un geste foudroyant, levait le poignard, pour le lui plonger droit dans le cœur.
Et sa main ne retomba pas. Le poignard demeura suspendu à quelques pouces de la poitrine de Concini qui, impuissant à se dégager de la formidable étreinte, fermait instinctivement les yeux.
Landry Coquenard, lorsqu’il avait vu Concini terrassé, était sorti de son immobilité et s’était approché, prévoyant bien ce qui allait se passer. Et c’était lui qui, saisissant des deux mains le poignet de Valvert, venait d’arrêter le coup.
Valvert tourna la tête, le reconnut, et, écumant de fureur, rugit :
– Landry du diable ! tu veux donc que je te tue d’abord, toi !
– Monsieur, répondit Landry Coquenard
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