La Fin de Pardaillan
envoyait quelqu’un chez lui, s’était produit chez sa bien-aimée Muguette. Et sans s’attarder, pris d’un pressentiment sinistre, il était parti comme un fou, à toutes jambes, vers son logis qui, fort heureusement, n’était pas loin.
Escargasse demeura là tout pantois, au milieu de la chaussée. Il était d’esprit délié, comme tous les Méridionaux, il marmonna, troublé :
– Outre ! il paraît que c’était grave… et pressé !… Et il se reprocha :
– J’ai peut-être eu tort de ne pas parler plus tôt… que la fièvre me mange !
En quelques secondes, Odet de Valvert arriva rue de la Cossonnerie. En bonds frénétiques, il franchit les marches de son escalier, et, haletant, pénétra en trombe chez lui. Perrine était toujours là. La brave femme se rongeait les poings d’impatience. Mais pour rien au monde elle n’eût déserté son poste. En quelques phrases hachées, elle mit le jeune homme au courant. Elle sentait bien qu’il n’y avait eu que trop de temps perdu. Elle ne dit que le strict nécessaire et lui donna tout de suite les indications indispensables.
Dès qu’il les eut, ces indications, il repartit comme une flèche. Il dégringola les escaliers plus vite qu’il ne les avait montés, se rua dans l’écurie, prit tout juste le temps de passer un mors et une bride à son cheval, lui sauta sur le dos, sans selle, sans étriers et lui labourant les flancs à coups d’éperon furieux, le lança ventre à terre hennissant de douleur, dans la direction du Pont-au-Change.
A travers la Cité et l’Université, ce fût une Course échevelée. Il passa comme un météore, sans entendre les clameurs de protestation qu’il soulevait sur son passage, les injures et les malédictions dont on le couvrait. S’il n’écrasa personne, cela tint uniquement à un hasard heureux et aussi à la rapidité fantastique avec laquelle les passants, au bruit infernal du galop de son cheval, s’écartaient de son chemin. S’il ne se rompit pas dix fois le cou, ce fut un vrai miracle. Jamais il ne put dire comment dans la rue de Vaugirard, il parvint à éviter une litière très simple, qui s’en allait nonchalamment et qu’il trouva soudain devant lui au tournant d’une rue.
Et cette allure folle se maintint ainsi jusque non loin de la rue Casset, vers laquelle il se ruait en tempête. Là, il vit au loin, devant lui, un homme qui se tenait au milieu de la route – car, à cet endroit, la rue de Vaugirard était plutôt route que rue – et qui agitait désespérément les bras en hurlant son nom à tue-tête. Par miracle, il reconnut en cet homme Landry Coquenard qui, après l’avoir cherché partout, désespérant de le rencontrer à temps, avait fini par prendre la résolution héroïque et désespérée de tenter seul de sauver celle qu’il appelait « la petite ».
Ayant reconnu son écuyer, Valvert ralentit sa course, s’arrêta une seconde devant lui, lui tendit la main et d’une voix rauque commanda :
– Saute !…
Landry Coquenard, d’un bond, sauta en croupe derrière lui. Et le cheval, avec son double fardeau, repartit de plus belle. Et juste à ce moment, la litière, dans laquelle Valvert avait failli entrer avec son cheval, reparaissait derrière eux, semblait s’acheminer du même côté qu’eux. Ils étaient alors presque arrivés, eux. Le cheval s’engouffra dans la rue Casset et, en quelques foulées, parvint à la porte de la petite maison de Concini, devant laquelle le cavalier l’arrêta net.
Valvert sauta à terre, bondit sur le marteau et ébranla la porte de deux coups formidables, en même temps qu’il hurlait le mot :
– Muguette !…
Landry Coquenard, qui ne perdait pas la tête, devant le tapage infernal qu’il menait, protesta à demi-voix :
– Tout doux, monsieur ! Si vous cognez ainsi comme un sourd ils vont croire là dedans qu’ils sont assiégés, et du diable s’ils ouvrent !…
Odet de Valvert, en son for intérieur, reconnut que la réflexion était juste. Si elle arrivait un peu tard, elle eut du moins cet avantage de lui rendre instantanément son sang-froid qui l’avait abandonné jusque-là et qui, maintenant plus que jamais, était indispensable.
Par bonheur, malgré la violence de l’appel, la porte s’ouvrit. Ils entrèrent en trombe dans le vestibule. A cet instant précis, l’appel désespéré de Muguette parvint distinctement jusqu’à eux.
– Me voici ! répondit Valvert dans un
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