La Fin de Pardaillan
poignard avec une frénésie terriblement significative. Et, pour marquer la joie que leur causait la perspective d’avoir bientôt, comme ils disaient, « à saigner le signor Concini », ils se livraient à une débauche de grimaces d’un comique qui avait on ne sait quoi de sinistre.
– Ils me tueront, soit, essaya de braver Concini, mais tenez pour certain que ma mort sera vengée séance tenante. Vous serez massacrés sur place.
– Bah ! fit Pardaillan d’un air détaché, à mon âge on peut faire le grand voyage… Et puis… nous ne sommes pas précisément manchots
,
tous les trois… Il n’est pas prouvé du tout que vos chenapans, si nombreux qu’ils soient, nous expédieront comme vous paraissez le croire.
«
O Cristo ladro !
rugit Concini dans son esprit, c’est que c’est vrai que ce démon est de force à tenir tête à mes hommes et à se retirer indemne après leur avoir taillé des croupières !… »
Ce fut cette pensée, nous pourrions presque dire cette certitude, qui le décida. Et, élevant la voix, refoulant sa rage, rongeant sa honte, il commanda :
– Rospignac !… Rendez la liberté à M. de Valvert.
– Et dites-leur que personne ne bouge, recommanda Pardaillan sans triompher. Valvert saura bien venir tout seul ici.
– Que personne ne bouge, répéta docilement Concini, définitivement dompté.
Quelques secondes plus tard, Odet de Valvert se trouvait au côté de Pardaillan. Et, très calme, comme si rien d’extraordinaire ne lui était arrivé :
– J’avais reconnu votre voix, dit-il, et je pensais bien que vous ne vous en iriez pas sans moi. Mais, monsieur, tout n’est pas dit encore : il faut qu’on me rende mon pauvre Landry.
Concini avait espéré que Landry serait oublié. Il essaya d’ergoter :
– Monsieur de Pardaillan, vous avez dit que vous me rendriez ma liberté si je vous rendais votre parent. Je vous l’ai rendu. Tenez votre parole. Au surplus, ce Landry qui est un fieffé coquin qui m’a trahi quand il était à mon service, vous ne pouvez pas dire qu’il est aussi de votre famille.
– Non, mais c’est mon serviteur, fit vivement Valvert. J’imagine que vous n’attendez pas de moi que j’abandonne un serviteur qui s’est bravement exposé à mon service.
– Concini, intervint Pardaillan, je vous conseille de vous exécuter de bonne grâce, jusqu’au bout.
Et d’une voix qui se fit rude :
– Je vous conseille surtout de ne pas abuser de ma patience qui commence à être à bout… Allons, finissons-en.
Concini comprit que s’il résistait encore, les choses allaient se gâter pour lui. Il ne souffla plus mot. Et il s’exécuta. Il s’exécuta de fort mauvaise grâce, en grondant de sourdes menaces et en les poignardant tous les deux du regard. Mais il s’exécuta tout de même. Et, au bout du compte, c’était l’essentiel.
Landry Coquenard fut descendu de cheval, débarrassé des liens qui le meurtrissaient et invité à déguerpir au plus vite. Nous n’avons pas besoin de dire qu’il ne se fit pas répéter deux fois cette invitation tout à fait bienvenue, malgré le ton peu amène sur lequel elle était formulée. Il se glissa vivement entre les chevaux et s’en vint prendre place derrière son maître. Là, avec une satisfaction compréhensible, il se mit à frictionner activement ses membres ankylosés, en se disant, avec une grimace de jubilation :
– Il paraît que mon heure n’était pas encore venue !… Dès demain, j’irai porter un beau cierge à M. saint Landry, mon vénéré patron. Je lui dois cela pour m’avoir tiré de ce mauvais pétrin.
Concini se doutait bien qu’il n’en avait pas encore fini avec Pardaillan. Mais comme il avait son idée de derrière la tête, qui était, comme de juste, une idée de revanche rapide et éclatante, il feignit de croire le contraire. Et, comme si tout était dit :
– Je pense que je suis libre, maintenant, dit-il d’un air détaché. Et, s’adressant à Gringaille et Escargasse, qui le harponnaient toujours solidement :
– Lâchez-moi ! dit-il sur un ton impérieux.
Loin de le lâcher Escargasse et Gringaille resserrèrent, au contraire, leur puissante étreinte. Les deux braves paraissaient désespérés de voir que leur ancien maître allait échapper à cette « saignée » qu’ils se faisaient une joie de lui administrer. Autant ils étaient sinistrement hilares l’instant d’avant, autant ils se montraient
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