La Fin de Pardaillan
charrette pour s’éloigner. Je l’ai abordée, je me suis nommé, et elle m’a mis au courant. Cette brave femme m’a quitté, en me disant qu’elle se rendait rue Casset et qu’elle n’en bougerait pas qu’on ne lui ait rendu l’enfant. Or, quand je suis arrivé à mon tour rue Casset, à la suite des estafiers de Concini, que nous avions rencontrés en route et que nous avons vainement essayé de rattraper, attendu que nous étions à pied et qu’ils étaient bien montés, j’ai constaté l’absence de la paysanne et de sa charrette. Et il en a été de même pendant le temps que nous avons attendu la visite de Concini. D’où je conclus qu’elle avait obtenu satisfaction avant notre arrivée. Au reste, c’est une chose dont nous nous assurerons, pas plus tard que demain, en nous rendant à Fontenay-aux-Roses… Que diable, je veux connaître ma petite-fille, moi !…
Cette fois, Valvert admit qu’il devait avoir raison.
Ce souper se prolongea tard dans la nuit. En agissant ainsi, Pardaillan avait son idée de derrière la tête, qui était de garder Valvert près de lui et de l’empêcher de retourner à son logis de la rue de la Cossonnerie.
Il y réussit assez facilement pour ce soir-là : Valvert et Landry Coquenard achevèrent la nuit dans un lit du
Grand Passe-Partout.
Mais le lendemain matin, il fut moins heureux quand il s’efforça de démontrer au jeune homme qu’il devait abandonner définitivement son ancien logis.
– Mais, monsieur, s’étonna Valvert, Concini pouvait me vouloir la malemort, quand il voyait en moi un rival. Pourquoi m’en voudrait-il maintenant qu’il sait qu’il est le père de celle que j’aime ?… Car il le sait, monsieur, et j’ai bien vu que cette révélation avait radicalement modifié ses sentiments à l’égard de Florence.
– Enfant, sourit Pardaillan, vous n’êtes plus le rival de Concini, c’est vrai. Mais – et ceci est plus impardonnable pour vous – vous êtes l’homme qui connaît le secret de la naissance de sa fille. Soyez sûr qu’il recommencera, à bref délai, le mauvais coup qu’il n’a pu réussir hier.
– Diable ! c’est que c’est vrai, ce que vous dites ! murmura Valvert, pensif.
– Et puis, insista Pardaillan qui le voyait ébranlé, il me semble que vous oubliez un peu M me Fausta… Fausta qui connaît votre demeure, songez-y.
– Mais, monsieur, à ce compte-là, vous devez déménager aussi.
– Moi ! sursauta Pardaillan, et pourquoi, bon Dieu ?
– Pensez-vous que M me Fausta ne sait pas que vous logez ici ? Pensez-vous qu’elle ne pourra vous y atteindre ?
– C’est ma foi, vrai !
Et Pardaillan se mit à marcher avec agitation dans sa chambre. Et, en marchant, il grommelait :
– Diantre, c’est vrai que Fausta doit savoir que je loge ici… Si elle ne le sait pas encore, elle le saura bientôt… Concini le saura aussi… Diantre, diantre !… C’est vrai que je ne suis plus en sûreté ici !… Par Pilate, il va falloir déménager !… Déménager, c’est bientôt dit !… Bouleverser toutes mes habitudes, m’en aller vivre au milieu de gens que je ne connaîtrai pas, qui ignoreront tout de mes goûts… quand je suis si bien ici, où je suis choyé, dorloté, ce qui n’est pas à dédaigner à mon âge… Partir d’ici où on me connaît si bien, qu’il me suffit d’un geste, d’un clin d’œil, pour faire comprendre ce que je désire !… Déménager !… Ah ! misère, on ne pourra donc jamais vivre tranquille sa pauvre existence !…
Valvert suivait d’un œil amusé, les effets de cette mauvaise humeur de Pardaillan. Il comprenait très bien que tout ce qu’il en disait, c’était pour lui, Valvert. Au fond, il était bien résolu à ne pas quitter cette maison, où il était plus maître que la patronne, dame Nicole, et où il était retenu par une habitude vieille de pas mal d’années déjà.
– Notez, monsieur, intervint-il en souriant, notez que nous n’aurons pas plus tôt déménagé, que M me Fausta et Concini connaîtront notre nouvelle demeure. Dès lors, pourquoi se donner tant de mal ?
– Au fait, dit Pardaillan qui se calma soudain, ce que vous dites là est très juste. Aussi, c’est dit : il en arrivera ce qu’il en arrivera, mais je reste ici, où je suis bien.
– Et moi, fit Valvert en riant, je reste à mon perchoir de la rue de la Cossonnerie, où, moi aussi, j’ai déjà mes petites habitudes. Je vous
Weitere Kostenlose Bücher