La Fin de Pardaillan
aura deux mères pour la gâter, au lieu d’une !
– Deux mères et deux pères, ajouta-t-il en riant plus fort qu’elle.
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Chapitre 20 LES AUDIENCES PARTICULIERES DE LA DUCHESSE DE SORRIENTES
I l y avait dix jours que le comte Odet de Valvert était entré au service de la duchesse de Sorrientès. Durant ces dix jours, Landry Coquenard était venu mystérieusement à l’hôtel Sorrientès, cinq ou six fois. Chaque fois, la duchesse l’avait reçu dans son oratoire. Et ces entretiens, plus ou moins longs, n’avaient jamais eu de témoin. Soit qu’il eût pris ses mesures en conséquence, soit que le hasard l’eût favorisé, Landry Coquenard ne rencontra jamais Valvert, qui continua d’ignorer les relations occultes qui s’étaient établies entre sa maîtresse et son écuyer.
Durant ces dix jours, Muguette vint régulièrement tous les matins, comme nous l’avons dit. Et pas une fois elle n’aperçut La Gorelle. Elle ignora la présence de celle qui avait été son bourreau dans cette maison où elle venait avec tant de plaisir. Landry Coquenard ne la trouva jamais plus sur son chemin. Il ne s’inquiéta pas d’elle, ne chercha pas à savoir si elle était encore au service de la duchesse ou si elle n’y était plus. La Gorelle ne l’intéressait guère, il ne pensa plus à elle. Il est certain que, si elle était encore à l’hôtel, elle avait été confinée à la lingerie avec ordre de ne pas se montrer à ces deux personnages.
Quant à Valvert, il ne connaissait pas La Gorelle. S’il rencontra cette femme, il ne fit pas plus attention à elle qu’il ne faisait attention aux filles de service, chambrières, servantes ou ouvrières innombrables de cette fastueuse et immense demeure où vivait tout un monde.
Ainsi donc, la duchesse de Sorrientès avait chez elle, sous sa main la fille de Concini, née à Florence il y avait de cela dix-sept ans, et que le père avait voulu faire jeter dans l’Arno, une pierre au cou. Elle avait de plus les deux seuls personnages – Landry Coquenard et La Gorelle – qui connaissaient le secret de la naissance de cette enfant ainsi que le crime projeté par le père. Et ces trois personnages lui étaient tout dévoués, les uns par intérêt, les autres parce qu’elle avait su capter leur confiance et gagner leur amitié.
Nous allons montrer maintenant pourquoi la duchesse avait attiré ces trois personnages chez elle et ce qu’elle voulait faire d’eux. Pour cela, nous allons nous attacher à la duchesse et la suivre pas à pas dans toutes ses évolutions.
La veille, mardi, la duchesse avait reçu un billet. Après l’avoir lu, elle avait appelé d’Albaran et lui avait donné un ordre. Le colosse était parti pour exécuter cet ordre. Il était revenu au bout de deux heures. Et, à une interrogation muette de sa maîtresse, il avait répondu :
– C’est entendu, madame, il vous recevra demain, à l’heure que vous avez fixée, dans son hôtel de la rue de Tournon, où il se trouve en ce moment.
– Nous irons donc demain matin rue de Tournon, avait répondu la duchesse qui ajouta :
– Prends tes dispositions pour m’accompagner. Le colosse s’était incliné en silence et était sorti.
Nous avons dit que la duchesse s’occupait fort activement de bonnes œuvres. Il n’y avait guère plus de quelques semaines qu’elle s’était établie dans ce magnifique hôtel, transformé, agrandi, métamorphosé expressément pour elle, avec une rapidité qui tenait du prodige, par une véritable armée d’ouvriers qui avaient abattu en quelques jours une besogne qui eût nécessité plusieurs mois de travail s’ils n’avaient été si nombreux et si royalement payés. Ces quelques semaines de séjour avaient suffi pour que sa réputation de bienfaisance et de rare générosité se répandît par la ville. Aussi, à une certaine heure de la matinée, qui fut vite connue, tout ce qu’il y avait de nécessiteux dans la ville, la Cité et l’Université venait frapper à la porte de l’hôtel, qui demeurait grande ouverte pour eux. En sorte que, à cette heure matinale, c’était une cohue compacte qu’on trouvait dans la rue Saint-Nicaise. L’heure passée, la rue retombait à son isolement ordinaire et n’était plus guère sillonnée que par les gens de l’hôtel.
La plupart de ces miséreux ne pénétraient pas dans la maison. Ils étaient reçus par une espèce de sous-intendant qui leur distribuait quelque menue monnaie à
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