La Fin de Pardaillan
dans un geste large, théâtral, il se couvrit de son méchant petit feutre et attendit, dans une attitude fière, ainsi qu’il convenait au grand d’Espagne qu’il était, paraît-il, puisqu’il se permettait d’user de ce singulier privilège qu’ont les grands d’Espagne de se couvrir devant leur souverain.
La duchesse ne parut ni étonnée ni choquée. Evidemment, elle était habituée à ce cérémonial.
– Comment se porte le roi, mon bien-aimé cousin ? interrogea-t-elle tout d’abord.
– Grand merci, madame. Sa Majesté le roi Philippe d’Espagne, mon très gracieux souverain (ici nouvelle révérence du comte qui ôta et remit son chapeau), se porte à merveille.
– Remercié soit le seigneur Dieu, et qu’il garde toujours en joie et prospérité notre bien-aimé souverain, prononça gravement la duchesse.
–
Amen !
dit le comte avec la même gravité. Et il ajouta :
– Sa Majesté a bien voulu me charger de vous dire qu’elle vous tient toujours en très haute et très particulière estime et de vous assurer qu’elle vous gardera toujours toute sa faveur et toute son amitié.
– Vous remercierez bien humblement le roi de ma part. Vous l’assurerez de mon immuable attachement et de mon inaltérable dévouement.
– Je n’y manquerai pas, madame. Sa Majesté a bien voulu, en outre, me charger de remettre à Votre Altesse ces lettres dont une est, tout entière, écrite de sa royale main.
La duchesse prit les lettres que le comte lui tendait. Et rien, dans sa physionomie immuablement calme, ne trahissait l’impatience avec laquelle elle attendait ces lettres, à ce qu’avait dit d’Albaran, du moins.
Avec le même calme souverain, posément, elle fit sauter les larges cachets et parcourût rapidement des yeux les missives, sans qu’il fût possible de lire sur son visage fermé l’impression qu’elles lui procuraient. Sa lecture achevée, elle posa les lettres sur la table qu’elle avait à sa portée et frappa sur le timbre. D’Albaran parut aussitôt.
– La litière ? fit-elle, laconiquement.
– Prête, répondit d’Albaran avec le même laconisme.
– Nous allons rue de Tournon.
– Bien, madame.
Et d’Albaran sortit vivement.
La duchesse se tourna alors vers le comte. Il attendait, figé dans son attitude un peu théâtrale. Seulement, sur son visage se lisait l’étonnement que lui causait la rapidité de décision de la duchesse. Elle vit cet étonnement, comprit et une ombre de sourire passa sur ses lèvres. Ce fut si discret et si rapide que le comte ne s’en aperçut pas. Elle reprit, avec le même laconisme qu’elle avait employé vis-à-vis de d’Albaran :
– L’argent ? Le roi ne m’en parle pas…
– Il doit être en route présentement.
– Combien ?
– Quatre millions, madame.
– C’est peu, fit-elle avec une moue de dédain. Elle parut calculer mentalement et :
– Enfin, avec ce que j’ai à moi, on pourra peut-être faire, dit-elle. Comte, vous allez repartir. Vous direz au roi que dès la réception de ses lettres, je me suis mise à l’œuvre, sans perdre une seconde.
– Je le dirai, madame, et j’attesterai qu’en effet vous êtes le chef le plus actif et le plus résolu qui se puisse rêver.
– Vous ajouterez, reprit la duchesse, sans relever le compliment, que je ne suis pas demeurée inactive en attendant ces lettres. J’ai préparé les votes. Et je crois pouvoir répondre du succès.
– Je répéterai à Sa Majesté les propres paroles de Votre Altesse, mot pour mot.
– Allez, comte, congédia la duchesse.
Elle lui tendit de nouveau la main en le gratifiant d’un sourire. De nouveau, il fléchit le genou devant elle et effleura des lèvres le bout de ses ongles roses. Il se releva et se dirigea vers la porte. Il avait instantanément repris son allure humble et courbée de quémandeur. Il sortit une bourse de sa poche, la garda ostensiblement dans sa main et sortit en couvrant de bénédictions la généreuse grande dame qui avait consenti à lui venir en aide. Et il parlait en excellent français, cette fois.
Nous ne voulons pas dire que tous les miséreux à qui la duchesse accordait des audiences particulières étaient de grands personnages comme ce comte grand d’Espagne qui sortait de chez elle. Cependant il est probable que la plupart – pour ne pas dire tous – étaient des émissaires à elle, ou à la cour d’Espagne, à qui elle donnait ses ordres en vue de
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