La Fin de Pardaillan
portaient une couronne brodée. D’instinct, sans idée arrêtée et sans réfléchir aux suites fâcheuses que ce geste pouvait avoir pour moi, je volai une de ces pièces : un petit bonnet garni de dentelles précieuses.
– Que vous avez gardé, comme de juste ?
– Précieusement, vous pouvez le croire. Un jour peut-être servira-t-il à la faire reconnaître des siens.
– Et qui porte aussi la fameuse couronne brodée ?
– Une couronne de marquis, oui… J’ai su cela plus tard.
– En sorte que Loïse serait la fille d’un marquis ? exulta Valvert.
– Cela ne souffre aucun doute pour moi.
– Ensuite ? ensuite ? fit avidement Valvert. Dites-moi s’il ne résulta rien de fâcheux pour vous de ce larcin.
– Non, fit-elle en riant. A la première grande ville où nous nous arrêtâmes, La Gorelle, dont la cupidité tirait argent de tout, alla vendre les vêtements de la petite. Elle dut en tirer un profit qui la satisfit, car elle ne fit jamais la moindre allusion à la disparition de ce petit bonnet. Je n’ai pas besoin de vous dire que, privée de toute espèce d’affection, je m’étais mise aussitôt à adorer la petite. Elle était si mignonne, si jolie et si malheureuse, le pauvre petit chérubin ! Elle, de son côté, elle sentit tout de suite qu’elle n’avait plus que moi au monde, plus d’autre refuge qu’en moi, et ce fut sur moi qu’elle porta toute son affection. Vous pensez si j’étais aux anges ! Je n’étais plus seule sur la terre. J’avais quelqu’un qui m’aimait, moi, l’Abandonnée, comme La Gorelle m’appelait. La misérable existence qui était la mienne s’ensoleillait du sourire de ce petit ange blond. Mais nous nous étions installées dans une grande ville, et alors commença pour Loïse la vie qui avait été autrefois la mienne. Par la pluie, le soleil ou la neige, La Gorelle l’emmenait au coin des rues, sous le porche des églises, et elle tendait sa petite menotte bleuie par le froid aux passants.
– Elle a fait cela ?… s’étrangla Valvert. Et elle la pinçait aussi pour la faire pleurer ?
– Son pauvre petit corps était tout couvert de bleus.
– Ah ! la misérable sorcière ! Qu’elle ne tombe jamais sous ma main, si elle ne veut être rouée de coups ! Martyriser ainsi deux pauvres enfants ! Que la peste l’étrangle ! Que le diable l’emporté !
Muguette sourit à la fureur que montrait Valvert.
– Heureusement, reprit-elle, que le martyre de la pauvre mignonne ne se prolongea pas trop longtemps. La Gorelle n’aimait pas beaucoup se fatiguer. Elle me confia la petite. Ses misères furent à peu près finies. Seulement, moi, j’étais obligée de rapporter double recette, sans quoi…
– C’est vous qui payiez pour la petite, interrompit Valvert, ému jusqu’aux larmes.
– Ah ! dame, oui. Je puis dire que j’en ai reçu, des coups, dans ce temps-là. Plus que je n’avais de bouchées de pain, assurément. Pourtant c’est un vrai bonheur, pour moi, que Loïse soit venue échouer dans cet enfer qu’était notre existence. Sans elle, je n’aurais jamais eu le courage de me soustraire à la tyrannie de cette méchante femme. Et qui sait ? peut-être aurais-je fini par rouler au ruisseau où elle s’acharnait à me pousser. Quoi qu’il en soit, je ne voulais pas que celle que j’appelais déjà ma fille, quand nous étions seules, supportât ce que j’avais supporté. Un jour, je partis à la grâce de Dieu, mais non pas au hasard, car j’avais choisi la route de Paris à dessein. J’emmenai Loïse, qui allait sur ses deux ans. J’eus la chance d’échapper aux poursuites de La Gorelle, qui dut certainement nous chercher partout, et je réussis à venir ici, à Paris. En route j’avais trouvé moyen d’amasser quelques sous. Je commençai par cacher Loïse, car si je ne redoutais plus La Gorelle pour moi-même, j’avais une peur affreuse que ma malchance ne l’amenât à Paris, qu’elle ne vit l’enfant et ne la reprit pour lui faire subir le même sort que j’avais subi. Loïse à l’abri, je m’organisai. Elle m’avait porté bonheur : tout ce que j’entreprenais me réussissait que c’en était une bénédiction. Aujourd’hui je gagne largement ma vie. Loïse vit à la campagne, au grand air, sous la garde d’une excellente femme à qui j’ai eu la chance de rendre quelques petits services et qui est devenue mon associée ; c’est elle qui cultive les fleurs que
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