La Flèche noire
taillés en pièces à la première rencontre, et, pour l’éviter, il était nécessaire que la surprise de leur arrivée fût aussi complète que possible.
Aussi les piétons furent tous de nouveau pris en croupe par les cavaliers, et Dick eut le très grand honneur de monter derrière Gloucester lui-même. Tant qu’on fut sous le couvert des bois, les troupes marchèrent lentement, et lorsqu’elles approchèrent des derniers arbres qui bordaient la grande route, elles s’arrêtèrent pour prendre haleine et faire une reconnaissance.
Le soleil maintenant était levé, brillant d’un éclat gelé dans un halo jaune, et, à l’opposé de l’astre, Shoreby, champ de toit neigeux et de pignons rougeâtres, roulait ses colonnes de fumée du matin.
Gloucester se tourna vers Dick.
– Dans ce pauvre endroit, dit-il, où les gens sont en train de cuire le déjeuner, ou bien vous gagnerez vos éperons et je commencerai une vie d’honneur, de puissance et de gloire aux yeux du monde, ou bien tous deux, je pense, tomberons morts et l’on n’en dira rien. Nous sommes deux Richards. Eh bien ! Richard Shelton, on en parlera de ces deux-là ! Leurs épées ne sonneront pas plus fort sur les cimiers des hommes que leurs noms ne sonneront aux oreilles des gens.
Dick était étonné d’une si grande soif de renommée exprimée avec une si grande force dans les mots et dans l’accent ; et il répondit très sensément et très tranquillement que, pour sa part, il promettait de faire son devoir et ne doutait pas de la victoire si chacun faisait le sien.
Cependant, les chevaux étaient reposés, et le chef levant l’épée et donnant des rênes, la troupe entière des chevaux se mit au galop, et dans un fracas de tonnerre, avec sa double charge de combattants, descendit le bas de la colline et la plaine couverte de neige qui les séparaient encore de Shoreby.
CHAPITRE II
LA BATAILLE DE SHOREBY
La distance à traverser ne dépassait pas un quart de mille. Mais ils n’avaient pas plutôt débouché de la forêt, qu’ils aperçurent des gens qui s’enfuirent en criant dans les prairies couvertes de neige, de chaque côté. Presque en même temps une grande rumeur se leva, s’étendit et grandit de plus en plus dans la ville ; et ils n’étaient pas à mi-chemin de la maison la plus proche, que les cloches commencèrent à sonner.
Le jeune duc grinça des dents, en entendant déjà ces signes d’alarme, et craignit de trouver ses ennemis préparés, et, s’il ne réussissait pas à prendre pied dans la ville, il savait que sa petite armée serait bientôt dispersée et exterminée dans la plaine.
Dans la ville, cependant, ceux de Lancastre étaient loin de se trouver en si bonne posture. C’était comme Dick l’avait dit. La garde de nuit avait déjà ôté les harnais ; les autres étaient encore à flâner,… débraillés, sans brassières ; nullement prêts à la bataille… dans leurs quartiers ; et dans tout Shoreby il n’y avait pas peut-être cinquante hommes complètement armés et cinquante chevaux prêts à être montés.
Le son des cloches, les appels effrayants des hommes qui couraient çà et là dans les rues, criant et frappant aux portes, firent sortir en un temps étonnamment court au moins une quarantaine de ces cinquante. Ils furent vite en selle, et, l’alarme se propageant en désordre de tous côtés, ils se mirent à galoper dans différentes directions.
Aussi, quand Richard de Gloucester atteignit la première maison de Shoreby, il ne rencontra à l’entrée de la rue qu’une poignée de lances, que son attaque balaya comme la tempête chasse la barque.
Au bout d’une centaine de pas dans la ville, Dick Shelton toucha le bras du duc ; celui-ci en réponse, réunit les rênes, porta la trompette perçante à sa bouche, et en tira une note caverneuse, puis tourna vers sa droite. Comme un seul homme, sa troupe entière tourna après lui, et toujours au galop, balaya l’étroite rue latérale. Les vingt derniers cavaliers seulement tirèrent les rênes et firent face à l’entrée ; les piétons qu’ils portaient en croupe sautèrent à terre au même instant et se mirent les uns à brandir leurs arcs, les autres à prendre possession des maisons de chaque côté.
Surpris par ce changement subit de direction, et intimidés par le front solide de l’arrière-garde, les quelques Lancastriens, après s’être rapidement consultés, se retournèrent
Weitere Kostenlose Bücher