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La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours

La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours

Titel: La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christophe Verneuil
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la voiture qui les ramenait à la maison.
    Jacob conduisait, les larmes aux yeux. Il avait toujours du mal à dissimuler ses émotions.
    ´ Tu as tout pour toi, bubbeleh, dit Anna, tout ce qu'il y a de plus beau chez ton père et chez moi, et tu vas en faire, des choses, c'est moi qui te le dis ! Le lycée, l'université et, ensuite, la faculté de droit ou la faculté de médecine, tu pourras faire tout ce que tu veux, tout ! ª
    Ses parents furent vraiment les seules personnes à
    ne jamais sous-estimer Ginger.
    Ils arrivèrent devant la maison et s'engagèrent dans l'allée. Jacob pila devant la porte du garage. ´ Mais qu'est-ce que nous faisons là ? Notre fille unique est admise en sixième, notre fille qui, puisqu'elle peut absolument tout faire, épousera probablement le roi de Siam à moins qu'elle n'aille à cheval sur la lune, notre fille est première de sa classe et nous n'allons pas fêter cela ? qu'est-ce que vous diriez d'aller à Manhattan prendre une coupe de champagne au Plaza ? Ou d'aller dîner au Waldorf ? Non, j'ai mieux encore, nous allons arroser l'événement chez Walgreen, au Paradis du Soda !
    - Youpi ! ª s'était écriée Ginger.
    Les employés de chez Walgreen n'avaient jamais d˚
    voir une famille aussi disparate: un père juif, à peine plus grand qu'un jockey, flanqué d'un nom allemand et d'un teint de séfarade; une mère suédoise, blonde et outrageusement féminine, qui mesurait une bonne quinzaine de centimètres de plus que son mari; et leur enfant, une apparition, un elfe, aussi menue que sa mère était grande, aussi blonde que son père était brun.
    Ginger aimait ses parents avec une telle intensité
    que, enfant, son vocabulaire ne lui avait jamais suffi à exprimer ses sentiments. Même adulte, elle ne pouvait trouver les mots pour dire ce qu'ils avaient représenté. Car tous deux l'avaient quittée, prématurément.
    quand Anna était morte dans un accident d'automo-bile, peu après le douzième anniversaire de Ginger, les parents de Jacob s'étaient tous dit que le père et la fille seraient totalement désemparés sans la Suédoise que le clan Weiss avait depuis longtemps cessé de considérer comme une intruse et pour qui il avait découvert à la fois respect et amour. Chacun savait qu'Anna était la force motrice de sa famille. C'est Anna qui avait pris le moins ambitieux des frères Weiss-Jacob le rêveur, Jacob le doux, Jacob qui avait tout le temps le nez dans un roman policier ou de science-fiction-et en avait fait quelqu'un. Ce n'était qu'un petit employé de bijouterie quand elle l'avait épousé; quand elle mourut, il possédait deux boutiques bien à lui.
    Après l'enterrement, la famille s'était réunie dans la grande maison de la tante Rachel, sur les hauteurs de Brooklyn. Dès qu'elle le put, Ginger alla s'isoler à
    l'office. Assise sur un tabouret parmi les senteurs des épices et priant Dieu pour qu'il lui rende sa mère, elle entendit la tante Francine parler à Rachel dans la cuisine. Fran évoquait l'avenir bien sombre qui attendait Jacob et sa petite fille dans un monde sans Anna.
    Íl ne pourra pas faire marcher ses affaires, tu le sais bien, même quand le chagrin sera passé et qu'il se sera remis au travail. Pauvre luftmensch. Anna c'était son bon sens, sa motivation, son meilleur conseiller. Dans moins de cinq ans, il aura tout perdu. ª
    C'était sous-estimer Ginger.
    Il fallait quelqu'un pour faire la cuisine à la maison.
    Elle se mit donc à cuisiner, fort bien de surcroît. Elle prit totalement en charge son père, fit le ménage avec enthousiasme et efficacité. Et bien qu'elle n'e˚t que douze ans, elle apprit à tenir un budget. Elle n'avait pas treize ans que tous les comptes du foyer passaient déjà entre ses mains.
    A quatorze ans, soit avec plus de trois années d'avance sur ses camarades, Ginger fut chargée de pro-

    noncer le traditionnel discours de fin d'études. Et quand on sut qu'elle était acceptée par plusieurs universités et avait opté pour l'université Barnard, chacun se dit qu'elle était peut-être un peu jeune pour avaler un morceau de cette taille.
    Barnard était effectivement plus difficile que le lycée. Non seulement elle apprit plus vite que les autres étudiants, mais elle apprit surtout aussi bien que le meilleur de tous. Ses notes furent toujours largement au-dessus de la moyenne et, quand elle n'eut que la moyenne, ce fut au cours du trimestre o˘ Jacob eut sa première pancréatite et o˘ elle

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