La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
Crépuscule aux enchères et, au grand étonnement de Dom, un contrat avait été signé
avec Random House, qui lui avait versé une avance particulièrement importante pour une première oeuvre. En moins d'un mois, les droits du roman furent vendus au cinéma (ce qui lui permit de verser un acompte sur sa maison) et le Club du Livre choisit Cré-
puscule pour sa sélection mensuelle. Il avait passé sept laborieux mois à rédiger cette histoire à raison de soixante, soixante-dix, voire quatre-vingts heures de travail par semaine, sans compter les dix ans pendant lesquels il s'était préparé à ce travail d'écriture, mais il ne pouvait s'empêcher de constater la soudaineté de son succès qui l'arrachait soudain à sa douce pauvreté.
Dominick Corvaisis, pauvre jadis, contemplait parfois le nouveau riche qu'il était devenu dans un miroir ou une vitre éclatante de soleil, il se trouvait bien imprudent et se demandait s'il avait vraiment mérité
ce qui lui arrivait. Il redoutait parfois de connaître une grande déception. Avec les louanges était venue la tension nerveuse.
Crépuscule serait publié en février prochain. Serait-il bien accueilli et justifierait-il l'investissement de Random House ou Dominick se sentirait-il humilié par son échec ? Pourrait-il réitérer son exploit, ou Crépuscule n'était-il qu'un formidable coup de chance ?
A chaque heure de la journée, ces questions et bien d'autres encore tournoyaient dans son esprit tels des vautours, et il supposait qu'elles continuaient à le hanter pendant son sommeil. C'était pour cela qu'il marchait en dormant: il tentait d'échapper à ses éternels problèmes et recherchait un lieu secret o˘ ses soucis ne le rejoindraient pas.
Assis à son bureau, il alluma son traitement de texte IBM et appela le chapitre dix-huit sur la première disquette de son nouveau livre-il ne lui avait pas encore donné de titre. Il s'était arrêté la veille au milieu de la sixième page du chapitre, mais eut la surprise de découvrir une page pleine alors qu'il l'avait laissée à
moitié vide. Des lignes de texte inconnues s'affichaient sur l'écran de la machine.
Il cligna un instant des yeux devant le parfait alignement des lettres, puis secoua la tête comme pour nier l'évidence.
Sa nuque était trempée de sueur.
Ces lignes de la page six... il ne se rappelait pas avoir écrit une chose pareille. De plus, il y avait une septième page qu'il n'avait pas créée. Et aussi une huitième page.
Il fit défiler le texte sur l'écran. Ses mains se mirent à trembler. Tout ce texte supplémentaire, inconnu n'était en fait que la répétition d'une phrase de deux mots:
J'ai peur. J'ai peur. J'ai peur. J'ai peur.
En double espacement, à raison de quatre phrases par ligne, de treize lignes page six, de vingt-sept page sept et encore de vingt-sept page huit, cela faisait 268
répétitions de la même phrase. Il était évident qu'il s'était installé devant son ordinateur pendant son sommeil et qu'il avait tapé 268 fois la même phrase. Seulement, il n'en avait aucun souvenir.
La machine n'avait pas travaillé toute seule. Et il était absurde d'imaginer quelqu'un se faufilant chez lui pendant la nuit pour venir faire joujou avec son appareil; d'ailleurs, il n'y avait aucune trace d'effraction, et il ne voyait vraiment pas qui aurait pu imaginer une telle blague.
J'ai peur.
Peur de quoi ? D'être somnambule ? C'était une expérience déroutante, certes, mais il n'y avait tout de même pas là de quoi susciter une telle terreur.
Il avait peur de la rapidité de son ascension littéraire et de retomber tout aussi rapidement dans l'oubli.
Cependant, il ne pouvait s'empêcher de penser que tout cela n'avait rien à voir avec sa carrière, que la menace qui planait sur lui était une chose étrangère dont il n'avait pas encore conscience mais que son inconscient percevait déjà-un secret que son esprit cherchait à lui communiquer par le truchement de ces messages écrits pendant son sommeil.
Non, c'était absurde. Son imagination de romancier prenait le dessus. Le travail. C'était là le meilleur remède.
Et puis, il savait, pour avoir effectué des recherches sur le sujet, que la majorité des adultes somnambules vivaient la plupart du temps moins d'une demi-douzaine d'expériences réparties sur un maximum de six mois. Il y avait de grandes chances pour que son sommeil ne f˚t plus jamais perturbé par ces promenades nocturnes et qu'il ne
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