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La Gloire Et Les Périls

La Gloire Et Les Périls

Titel: La Gloire Et Les Périls Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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ressentent ?
    — Parce qu’ils sont protestants. Imagine nos deux
grands juges de Présidial conter fleurette entre deux portes aux chambrières de
leurs épouses !
    À cela Nicolas rit puis, sans la moindre transition, il
passa de la gaieté à la tristesse.
    — Monseigneur, reprit-il, peux-je vous poser
question ?
    — Pose, Nicolas.
    — La fin du siège est-elle proche ?
    — Très proche. Les Anglais se retirant du jeu, les
Rochelais vont perdre jusqu’à l’illusion de l’espoir.
    — Pauvres Rochelais ! Tant de souffrance et tant
de morts, et tout cela pour rien ! Mais pour moi-même je me sens triste et
marmiteux.
    — Et pourquoi cela, Nicolas ?
    — Bien le savez, Monseigneur. Le siège fini, je vais
devoir vous quitter pour rejoindre les mousquetaires du roi.
    — Quoi de plus haut que ce corps d’élite ?
    — Oui, Monseigneur, mais je m’entendais si bien avec
vous…
    Cette façon de dire me parut naïve, mais justement parce
qu’elle l’était, elle m’émut. Et pour une fois, pour la première et la dernière
fois sans doute, je ne dissimulai pas mon émeuvement.
    — Nicolas, dis-je du bon du cœur, ramentois bien ceci.
Je vais te trouver un successeur, mais je ne te remplacerai pas.
    Cet éloge implicite lui mit les larmes aux yeux et en
prenant vergogne, il quit de moi son congé et l’obtint. Quant à moi, la porte
sur lui reclose, je me sentis aussi seul que si j’allais être privé pendant
longtemps d’un fils. Toutefois, d’avoir prononcé en mon for ce mot «  fils »
eut un résultat heureux, car presque aussitôt je vis surgir en ma cervelle
l’image d’un enfantelet dormant à poings fermés dans son bercelot. Je me sentis
alors indiciblement heureux, si tant est que cet adverbe ne se nie pas lui-même
en disant ce qu’il prétend ne pas dire. Lecteur, pardonne-moi ce conceit [78] , je suis las, et comme disait
Henri IV, il est temps que mon sommeil me dorme.

 
CHAPITRE XIII
    Le lendemain, quasiment à la pique du jour, une des
carrosses cardinalices, dans laquelle avaient pris place le chevalier de Meaux
et un gentilhomme grand et maigre que je ne connaissais pas, vint chercher Lord
Montagu pour le mener au relais de poste d’où ils devaient repartir par le
service rapide des courriers de cabinet.
    Lord Montagu se levait à peine, se ressentant encore du
délicieux et traîtreux vin français de la veille, et Madame de Bazimont dépêcha
Luc pour l’aider à s’habiller, n’osant trop s’approcher de sa chambre.
Cependant, notre Intendante était présente sur le perron quand il départit, et
lui fit une révérence si profonde et si trémulante que je jugeai qu’elle
conserverait à jamais le souvenir du Lord dans le baume et les aromates de ses
remembrances. Lord Montagu ne laissa pas d’être touché par un salut qui
ressemblait tant à un aveu. Il y répondit par un salut respectueux qu’il n’eût
pas mieux fait pour une duchesse. Tant est que la pauvrette en eut les larmes
aux yeux. Dieu bon ! m’apensai-je, comme il est triste de vieillir !
L’amour n’est plus que le pâle et illusoire reflet de ce qu’il fut.
    Le chevalier de Meaux, qui, lui, était jeune et piaffant,
ayant demandé la permission de me parler au bec à bec avant son département, je
le tirai à part. Il me dit que le gentilhomme qui l’accompagnait était Sir
Francis Kirby, colonel de la garnison anglaise de La Rochelle, lequel, la nuit
précédente, avait réussi à saillir sans encombre de la porte de Tasdon, tant
elle était maintenant mal gardée, et s’était présenté sans armes devant les
soldats de la tranchée de Bellec, lesquels, selon les ordres, eussent dû lui
tirer sus, mais ne le firent pas, tant ils furent ébahis par sa taille et son
impassibilité. En outre, dirent-ils à l’exempt qui leur chantait pouilles, il
avait l’air d’un squelette qu’on eût revêtu d’un uniforme, si bien qu’ils
eurent vergogne à tuer ce mort vivant. C’était même miracle qu’il pût encore
marcher.
    Le capitaine de Bellec, prévenu, amena le colonel au
cardinal qui, le voyant si exsangue, lui fit donner incontinent un bouillon de
légumes et ordonna qu’on le conduisît chez moi à Brézolles, afin que je pusse
prendre soin de lui, et lui tirer tous les renseignements possibles sur l’état
à’steure des Rochelais et de la garnison anglaise. J’appelai alors Madame de
Bazimont pour qu’elle aidât Sir Francis à monter les marches du

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