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La grande vadrouille

La grande vadrouille

Titel: La grande vadrouille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges TABET , André TABET
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projecteurs en zones dentelées. Indiquant les nuances, dessinant la mélodie dont elle modèle les contours, cette main est reine. Parfois elle gomme une fioriture imprudente. Á d’autres instants, les doigts se crispent comme s’ils voulaient étouffer le murmure soyeux des violons.
    Les flûtes jasent en sourdine, et, discrètement, les hautbois s’éloignent. D’un geste tendre, il amène l’orchestre aux frontières du silence et c’est chose bouleversante que de voir cette grande masse sonore baisser le ton, frôler l’impalpable et chuchoter tout bas des phrases mystérieuses qui sont comme le murmure du destin. Enfin, la baguette pointée vers le ciel on ne voit plus rien que ce demi-dieu qui boit l’or des trompettes, renversées comme des calices. Cet homme, c’est le soleil ! »

    C’était là un papier qui compte dans la vie d’un artiste et les visiteurs qui le lisaient en concevaient soudain pour Stanislas [1] une admiration accrue…
    L’orchestre attaquait maintenant la Coda brillante de la Marche Hongroise, et on croyait voir monter Stanislas extatiquement vers l’Olympe de la Musique.
    Il en redescendit vivement au dernier accord.
    Le demi-dieu s’épongea de manière tout à fait humaine. Puis ayant longuement soupiré, il déclara aux musiciens anxieux de connaître son verdict :
    — Messieurs, c’est bien !… C’est même très bien !
    Un murmure flatté monta du gouffre de la fosse d’orchestre. Les archets frappèrent en cadence sur les pupitres, signe rituel de déférente admiration.
    — Vous, c’était remarquable, dit le chef sans sourire aux harpes qui n’avaient cependant joué que deux arpèges.
    — Vous ! dit-il aux altos et seconds violons, c’était… bien… enfin… pas mal.
    Il s’échauffait, et s’adressant aux cuivres il éclata :
    — Quant à vous, c’était… très mauvais.
    Et comme on protestait en grommelant à voix basse, il lança, d’un ton inattendu, méchant, hargneux et vindicatif :
    — C’est-à-dire que pour tout le monde c’était tout simplement exécrable !
    Et dans un silence glacial il conclut sèchement :
    — Les harpes aussi !
    Les deux harpistes qui se croyaient encore seules à l’abri se sentirent en première ligne.
    — Tout ça n’est pas assez orgueilleux ! poursuivait Lefort, la voix tremblante de blâmes. Je n’ai pas entendu les piaffements des chevaux ! Or, dans cette Marche, on doit les entendre ! Voulez-vous que je vous dise ce qui ne va pas ? Ce sont vos attaques ! Vous attaquez… lllla ! C’est mou, mou, mou ! Quand il faut attaquer rrrram ! Ammm ! Arracher ! C’est toute la différence !
    Il abandonna soudain la colère pour le ton plaintif :
    — Le passage des cordes et célesta ! J’en souffre encore quand j’y pense !
    Il allait pleurer, croyait-on. Mais il fulmina encore en invectives blessantes :
    — Vous jouez comme une bande de chats qui cherchent aventure !
    Et lyrique :
    — Alors qu’il faudrait de la fraîcheur : un rayon de soleil du matin sur des fleurs des champs…
    Il s’adressa au célesta, tenu par un gros homme au regard bovin :
    — Pouvez-vous être fleur des champs ?
    Et sans même attendre de réponse :
    — N’essayez surtout pas ! vous finiriez par me dégoûter tout à fait de cette partition que j’adore ! Que voulez-vous que je fasse avec des musiciens qui ne sont pas là ? Qui ont des remplaçants qui ont préféré se laisser faire prisonniers dans les plaines flamandes plutôt que de rester courageusement ici afin d’y défendre la Musique Française ! C’est un combat qui en vaut un autre ! Croyez-moi !
    Il se moucha, désespéré, en surface, et dit d’un ton dolent, épuisé :
    — Reprenons, au n° 17 !
    Et soudain hors de lui, repris par sa fureur :
    — Je vous le dis pour la dernière fois ! J’exige du panache, de l’orgueil ! Cette musique doit marcher au pas de l’oie !
    Il levait déjà sa baguette quand il entendit derrière lui une conversation à voix basse.
    Il se retourna d’un mouvement brusque et vit, affalés dans les fauteuils d’orchestre au milieu de la salle vide, Benoît, la basse qui jouait Méphisto et Bianca della Riviera qui chantait Marguerite. Et ces protagonistes échangeaient des gauloiseries scabreuses et des rires étouffés avec Antonio Scala, le ténor, et quelques petits rôles hommes et femmes, bourgeois rhénans, tous en costumes de scène.
    De nouveau,

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