La grande vadrouille
garde-à-vous pétrifiés de terreur : un seul regard d’un seul homme, et c’était pour eux la mort immédiate.
Otto Weber passait les hommes en revue. Arrivé au bout de la haie d’honneur, il félicitait l’officier d’un geste sec de la tête, quand il aperçut sur son revers noir d’aryen une poussière jaune qu’il jugea résolument sémite. D’un index vengeur et méprisant, il envoya une pichenette à cet atome qui dérangeait son impeccable tenue.
Peter, à ce moment déséquilibré, crut bon de tirer encore sans bruit sur la corde de l’échafaudage. La planche s’inclina de 45°. Les pots de peinture couleur ivoire clair, perdant l’équilibre, partirent dans le vide et vinrent s’écraser devant l’Obergruppenführer, l’éclaboussant de la tête aux pieds avec un fracas outrageant.
Otto Weber, S.S. noir, devint en une seconde S.S. ivoire clair. Furieux mais maître de soi, il s’essuya un œil et en leva un autre vers le ciel. Il vit Augustin. Celui-ci, pris de panique et penché dans le vide, lança à l’Allemand ces mots embarrassés, d’une voix fluette :
— Hep ! Je m’excuse !
Il avait le ton d’un monsieur qui vient de bousculer une dame par mégarde : affable et empressé ! Il grimaçait même un vague sourire !
Une bordée d’invectives tudesques monta, en réponse, jusqu’à lui.
— C’est ce type ! Là-haut ! Le peintre !
— Il y a un Anglais !
— Quelle scandaleuse audace !
Otto Weber, sans se départir de sa dignité, s’enfonça dans la maison afin de réparer le désordre de sa toilette. Avec un sublime courage il déclara pour expliquer l’accident :
— C’est la guerre !
Dans la cour, les S.S. se déployaient en éventail en réponse à cette brusque attaque aérienne d’un genre nouveau. Des soldats en vert et gris, qui, depuis ce matin recherchaient partout les parachutistes, firent irruption, dans un vacarme de bottes et de motocyclettes.
Les S.S. les renseignaient déjà :
— Là !
— Un Anglais ! Et un terroriste !
De l’échafaudage, Augustin protestait de son innocence !
— C’est un malentendu, je vous assure… Je n’y suis pour rien…
Voyant qu’il n’était toujours pas compris et qu’on lui tirait dessus, il articulait avec force, comme s’il parlait à des sourds :
— Je ! n’y ! suis ! pour ! rien ! Comment faut-il vous le dire ?
Une fusillade redoublée lui répondit.
— Il n’y a rien à faire avec ces gens-là, constatait-il naïvement. Ce n’est pas leur faute… Ils ne comprennent pas le français !…
— I think we’d better go, lança Peter qui ne parlait qu’anglais.
Sous le feu de deux langues étrangères, Augustin était la vivante illustration du slogan maurassien : la France seule.
— You go ! pas moi ! retorqua-t-il au Britannique.
— All right ! Stay if you wish ! conclut Peter.
Et il entreprit de fuir par ses propres moyens.
Il grimpa vers le toit en s’accrochant au treillage providentiel mais fragile qui, naturellement, céda sous le poids.
Peter s’agrippa à la gouttière d’un mouvement hâtif.
Entouré du bourdonnement d’insectes rageurs que faisaient les balles, il n’était suspendu que par une seule main. D’une seconde à l’autre, il serait descendu et capturé.
Augustin d’abord furieux et affolé se sentit tout à coup apitoyé par la situation critique de l’Anglais.
Au bas du mur vertigineux, les Allemands tiraient toujours, mais heureusement assez mal.
Augustin se lamentait. Sa conscience lui interdisait de laisser abattre cet aviateur. Il ne pouvait non plus l’abandonner. La main de Peter qui, seule, lui servait à se soutenir, devenait de plus en plus violette. Il allait tomber. Et de quelle hauteur !
D’un moment à l’autre, il serait forcé de lâcher prise.
Oubliant toute prudence, n’écoutant que son bon cœur, Augustin grimpa vers le sommet du mur où, enfin parvenu, il se coucha d’abord à plat ventre.
Juste à l’endroit qu’il venait de quitter s’écrasa une grêle de projectiles.
Le peintre alors, de ses deux mains, aida l’Anglais à se hisser jusqu’à lui. Au moment précis où Peter allait être sauvé, il fut atteint d’une balle au bras.
Encore un petit effort… Les voilà tous deux sur le toit à l’abri du feu ennemi. Il se redressèrent, pâles, tremblants. Augustin épongea la sueur de son visage, d’un geste familier de sa manche.
— Vous me foutez dans
Weitere Kostenlose Bücher