La Guerre Des Amoureuses
lui livrer une porte de la formidable forteresse, clef de la
Touraine. Mais les espions avaient été pris et Condé, poursuivi par le duc d’Épernon,
était tombé dans un piège. Encerclées par plusieurs armées, traquées par les
paysans, ses troupes s’étaient débandées, abandonnant leurs armes, et lui-même
s’était enfui pour l’Angleterre d’où il n’était rentré que le 3 janvier, en
débarquant à La Rochelle.
Cette déroute avait laissé le champ libre à
Mayenne, puisqu’il n’y avait plus d’armée protestante dans l’Ouest pour l’arrêter,
ou seulement le gêner.
Depuis, l’étoile de Condé était bien ternie, et
maintenant que le moral des huguenots était au plus bas, ils n’espéraient plus
qu’en Navarre, reconnu enfin comme leur chef incontesté.
Les défauts qu’on reprochait au Béarnais :
son inconstance, sa souplesse, sa capacité à biaiser, étaient devenus des
qualités, et ses proches rappelaient à ses détracteurs que s’il avait plusieurs
fois abjuré, il était toujours revenu à la religion réformée. La religion de sa
mère. Navarre pouvait céder en puissance devant un adversaire plus fort
que lui, mais il ne cédait jamais en conscience, martelait-il. La
faiblesse, dont on l’avait longtemps accusé, était désormais de la tolérance, sa
souplesse était appelée sagesse, son double jeu n’était que de la stratégie, et
ceux qui avaient été à son côté dans les batailles ne doutaient plus de son
courage.
Il était loin le temps où pour Coligny, Calvin,
Bèze, ou Louis de Condé (le père d’Henri), le jeune Navarre ne comptait pas. Il
était loin le temps où la république des pasteurs, celle des Provinces-Unies du
Midi, faisait la loi à travers ses assemblées, et où le jeune Béarnais, otage
dans le Louvre, était traité comme un nigaud trousseur de jupons.
Désormais, Henri de Navarre était un chef de
guerre vivant au milieu de ses soldats, tacticien redoutable, hardi à la
bataille tout en étant économe de ses hommes, et toujours généreux avec les
vaincus ; ce que n’avaient jamais été Coligny ou Condé.
En face de lui, Philippe de Mornay, gouverneur
de Montauban – l’une des quatre places fortes huguenotes – et intendant de sa
maison, c’est-à-dire son Premier ministre, l’observait avec affection.
Mornay et Navarre se connaissaient depuis si
longtemps ! Ils étaient tous deux à Paris lors de la Saint-Barthélemy. Henri
avait alors dix-neuf ans et Mornay était le secrétaire de Coligny. Philippe
avait échappé au massacre en s’enfuyant dans les rues de Paris tandis qu’Henri,
prisonnier, s’était converti, comme le jeune Rosny d’ailleurs.
Le massacre avait commencé cinq jours après
son mariage. Henri s’était caché chez sa jeune épouse quand on égorgeait trois
cents de ses amis. Il avait vu leurs corps poignardés, dépouillés dans la cour
du Louvre, énucléés et émasculés par les filles de l’escadron volant. Pour
rester en vie, il avait accepté la conversion imposée par Charles IX et
contraint son cousin Condé à agir de même. Ensuite, prisonnier à la Cour
pendant quatre ans, il s’était fabriqué un personnage de rustre, bon vivant, paillard,
rieur, simplet, et surtout faible de caractère.
Il avait dissimulé ainsi jusqu’à ce qu’il
parvienne à s’évader en compagnie de Rosny. Pourtant, une fois libre, il avait
continué à jouer la comédie du fruste paysan béarnais. Tant mieux si ses
ennemis le croyaient stupide et faible, car lui n’avait rien oublié.
Mornay le savait. Comme tous les autres autour
de la table, il connaissait le véritable roi de Navarre. Un soldat qui avait
reçu de Dieu le génie de la guerre, un humaniste qui lisait parfaitement le
grec et le latin et qui admirait les actions illustres de l’histoire romaine. Un
homme indomptable à qui sa mère Jeanne d’Albret avait donné une éducation de
fer. Et surtout, un juste, un maître tolérant, et respectueux des faibles.
Ayant envoyé sa pique, Navarre se tourna vers
Condé, assis à sa droite.
— Mon cousin, je devais venir à Nérac. C’est
ici que mes capitaines, et ceux qui nous soutiennent en Europe, m’envoient
courriers ou messagers, expliqua-t-il. Je ne peux me battre en aveugle, j’ai
besoin de savoir pour prendre les bonnes décisions. Ainsi, lorsque monsieur de
Mayenne est entré en Guyenne, j’ignorais s’il attaquerait vers Bergerac ou s’il
chercherait à pénétrer en
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