La Guerre Des Amoureuses
resté qu’une heure avec elle !
— Sachant que je suis pris au piège ici, que
tout prouve que je vais livrer bataille, Mayenne ne se pressera pas et va
rassembler suffisamment de soldats pour soutenir un siège. Seulement, quand il
arrivera, nous ne serons plus là depuis longtemps. À la pique du jour, nous
quitterons la Guyenne. Reste à décider dans quelle direction…
»… Voilà pourquoi je mande maintenant votre
avis, et aussi pour discuter de la proposition que Michel de Montaigne m’a
apportée. Vous le connaissez tous, je lui ai demandé de participer à ce conseil
pour qu’il vous la soumette lui-même.
Chacun regarda avec curiosité le voisin de
gauche de Rosny. La cinquantaine dépassée, un front étonnamment haut et dégarni
sous un chapeau rond à petits bords, il affichait une expression grave et
attentive. Si Rosny portait une longue et épaisse barbe, Mornay une barbe
frisée en cône, Navarre une barbe en fer à cheval, Turenne une barbichette
pointue comme Condé, Michel de Montaigne n’avait qu’une longue moustache. Il
était aussi le seul en vêtement de ville avec une fraise en dentelle sur un
pourpoint de taffetas.
— Vous savez tous où nous en sommes, mes
amis, nos affaires vont aussi mal que possible. Quel parti faut-il prendre ?
De quel côté faut-il se tourner ? Nous n’avons plus d’armée et plus d’argent…
— Il nous reste la peste et la famine !
plaisanta Turenne.
— Et l’hiver ! ajouta Mornay. Le
pire qu’on ait eu depuis dix ans ! Ce sont aussi de rudes adversaires pour
Mayenne et Matignon.
— Vous ne devez pas trop craindre
Matignon, monseigneur, intervint Montaigne. Quand Mayenne l’a rejoint, fin
décembre, il lui a porté les ordres que le roi lui donnait, à savoir de se
placer sous l’autorité du duc et lui obéir en tout. Mais j’ai rencontré
Matignon peu après. Il m’a dit avoir aussi reçu d’autres instructions de Sa
Majesté, celles-là secrètes. Le roi assurait ne pas vouloir votre destruction, bien
au contraire. Qu’il était contraint d’agir ainsi, et qu’il souhaitait avant
tout la ruine de la Ligue. Matignon fait donc tout son possible pour laisser
les troupes guisardes sans solde et sans vivres [9] .
Henri hocha la tête sans sourire. Il savait
déjà tout cela.
— Sauf que Mayenne et ses mercenaires
albanais et allemands vivent sur le pays, fit-il. Toute la Guyenne – mon pays –
est ravagée par ces sauvages.
— C’est vrai, monseigneur, reconnut
Montaigne. J’ai moi-même failli perdre mon château. Mais pour l’instant, les
deux armées se sont séparées. Matignon arrive de Bordeaux tandis que Mayenne
tente de rassembler ses troupes à Monségur.
— Mayenne ne doit pas être sous-estimé, intervint
Turenne. Il m’a repris Tulle, ce que je n’aurais jamais cru possible de sa part.
C’est un rude général, aimé de ses troupes, à la fois prudent et audacieux. Matignon
fait tout pour le gêner, c’est évident, mais Mayenne peut se passer de lui. Surtout
quand il saura que nous ne sommes que deux cents ici !
— Nous allons en reparler, proposa
Navarre en se forçant à sourire.
Le roi ne mésestimait pas la gravité de la
situation, mais, simulant l’insouciance, il trancha un morceau de terrine qu’il
étala sur son pain.
— Prenez un peu de ce pâté aux cèpes, vous
ne savez pas quand vous en mangerez d’aussi bon…
Condé se servit avant de faire glisser le plat
à Montaigne.
— En mon absence, plusieurs propositions
me sont parvenues, poursuivit Navarre la bouche pleine. Je veux avoir votre
sentiment. L’électeur palatin me propose une armée si j’accepte la création d’une
république protestante dont il serait le protecteur et moi son lieutenant.
— Non ! cria Condé sans attendre qu’on
lui laisse la parole.
Navarre interrogea Rosny du regard.
— Non, sire, répondit celui-ci. Votre
combat dure depuis près de quinze ans et l’extrémité n’est pas si pressante. Vous
avez connu pire situation, quand vous étiez prisonnier dans le Louvre.
— Si l’électeur nous offre des troupes, pourquoi
pas ? remarqua aigrement Turenne. Même si nous rassemblons nos deux mille
arquebusiers, avec notre poignée de gentilshommes et ce qui reste de l’armée de
Condé, Mayenne nous écrasera quand il veut.
— Et toi, Mornay, qu’en penses-tu ?
— La France et l’Europe ont les yeux
fixés sur Votre Majesté. Vous devez composer votre vie de telle
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