La Guerre Des Amoureuses
sorte que le
public n’y trouve rien à reprendre et tout à louer. Votre rang vous contraint à
vous opposer à la ruine de la maison de France.
Navarre hocha du chef.
— Voyons donc la seconde proposition :
Damville [10] et Lesdiguières [11] me proposent asile. L’un dans le Languedoc, l’autre dans le Dauphiné.
— Va pour le Languedoc ! approuva
Condé. C’est le plus près.
— Je choisirais plutôt le Dauphiné, nous
pourrions plus facilement obtenir des Suisses, remarqua Turenne.
— Non ! dirent ensemble Mornay et Rosny,
qui se regardèrent, étonnés d’être du même avis.
— Autant d’avis que de têtes ! comme
le dit souvent mon ami Agrippa d’Aubigné ! plaisanta Navarre. D’ailleurs, Élisabeth
d’Angleterre me propose aussi asile…
— Non ! clamèrent ensemble Condé, Turenne
et Rosny.
— La bataille doit avoir lieu en France, sire,
insista Mornay. Il y aurait un immense danger à ce que vous quittiez le royaume,
votre absence relâcherait encore le lien déjà trop faible qui tient unis vos
partisans. Je dirais même qu’il convient maintenant que vous fassiez l’amour à
la France [12] .
— L’amour à la France… J’aime ce trait, Mornay !
s’exclama Navarre en riant.
Puis il regarda chacun en souriant, tant il
goûtait leurs réponses, avant de déclarer :
— Le duc de Mayenne n’est pas si mauvais
garçon qu’il ne me permette de me promener encore quelque temps dans la Guyenne…
Après tout, j’ai toujours eu ici mes allées et venues franches. Le renard que l’on
croit avoir pris au filet passe parfois à travers les mailles, ou sur le ventre
du chasseur.
— Que proposez-vous, mon cousin ? s’étonna
Condé.
— Nous ferons tout à l’heure descendre
les chevaux du côté où la muraille est la plus escarpée, et où il n’y a donc
pas d’espions. En bas, par pelotons de vingt, nous gagnerons Casteljaloux par
des sentiers différents.
Il les regarda à tour de rôle, leur signifiant
du regard qu’il attendait leurs questions.
— Pour aller où, monseigneur ? demanda
Rosny.
— Monsieur de Turenne restera en Guyenne,
avec un petit corps de troupes pour contraindre Mayenne à rester sur place. Avec
Condé, je gagnerai La Rochelle puisqu’on nous a laissé place libre en Saintonge.
J’ai trouvé ici un appel d’Aubigné [13] qui
se trouve près d’Exoudun. Il est tenu en échec devant le château de La Mothe
occupé par les gens de Mayenne. Nous irons donc l’aider. Pris à revers sans qu’il
s’y attende, Mayenne devra partager ses forces pour ne pas être coupé de Paris
et de tout ravitaillement.
Rosny, Mornay et Turenne hochèrent lentement
la tête. Une fois de plus, Navarre faisait preuve de son sens tactique. Condé, lui,
se rengorgea. Il prendrait facilement La Mothe et effacerait sa déroute devant
Angers.
— Ce sera bien joué, monseigneur ! déclara
Rosny, Mais à part l’avantage de nous tirer de ce piège, cela ne changera rien
dans le rapport des forces. Simplement, Mayenne ou Biron nous enfermeront dans
La Rochelle.
— On ne prendra pas La Rochelle comme
Nérac ! intervint Condé.
— Sans doute, mais j’ai deux autres
cartes à jouer. La première est mon cousin, le duc de Montpensier, qui m’a
écrit le mois dernier pour se déclarer prêt à me soutenir contre les ambitieux
projets des Guise [14] . La seconde, ce sont les neuf cent mille livres de monsieur Sardini
que Mornay a par-devers lui. Elles vont servir à allumer un contre-feu.
— Neuf cent mille livres ? s’étonna
Condé. Peste ! Je ne vous savais pas si riche, mon cousin.
— Moi non plus ! plaisanta Henri. Moi
non plus ! Disons que cet argent est une avance sur mon trône de roi de
France ! C’est Mornay qui a réussi à l’obtenir. Il le gardait pour un
dernier recours.
— Ce n’est pas moi, monseigneur, qui ai
gagné cet argent pour vous, c’est ma fille.
— Je le sais et je ne l’oublie pas !
Mornay, tu vas demander à François de Ségur [15] d’utiliser cette somme pour acheter à Casimir [16] une armée de Suisses et de lansquenets qui viendra à notre secours.
— Cela prendra du temps, monseigneur.
— Je sais, mais l’important est que Guise
l’apprenne vite.
— Il tient la Champagne et la plupart des
places fortes de l’Est, remarqua Turenne. Il fera tout pour empêcher ces
renforts de passer.
— Qu’il le fasse, cela l’occupera ! Au
moins, pendant ce temps, il n’enverra
Weitere Kostenlose Bücher