La Guerre Des Amoureuses
était au gué et commençait à faire passer son
armée. Dans la journée, le duc avait envoyé un peloton pour tenir le gué avant
Navarre et l’empêcher de passer, mais le peloton avait été repoussé.
L’état-major catholique, composé de jeunes
gentilshommes ardents et ambitieux, poussait à la bataille. Joyeuse y était
tout autant favorable. Avec une armée de dix mille hommes, il ne pouvait qu’anéantir
cette horde de rebelles et d’aventuriers mal équipée, aussi sa décision fut
suivie d’acclamations et de vivats. Dans leur euphorie, les catholiques
décidèrent même qu’il n’y aurait pas de quartier. À minuit, les troupes royales
se mirent en branle. Elles avaient quatre lieues à faire à travers la forêt
pour rejoindre Coutras et surprendraient les huguenots à l’aube, au milieu du
gué.
Depuis le début de l’après-midi, Navarre
faisait traverser la rivière à ses troupes. M. de Clermont avait la
charge d’accommoder les passages, c’était un travail épuisant. Les
chariots, à mi-roues dans l’eau, s’enfonçaient souvent dans la vase. Il fallait
alors les décharger à dos d’homme. L’eau était glaciale et les soldats en
avaient jusqu’aux genoux, parfois en haut des cuisses. De surcroît, la rivière
était très large. Il y avait bien une barge, mais le courant était si fort qu’il
était exténuant de la tirer.
C’est en fin d’après-midi qu’on commença à
faire passer l’artillerie et les trains de boulets et de poudre. Olivier avait
en charge une des couleuvrines qui, avec son long canon, était excessivement
lourde. Il savait que si son chariot s’enlisait, il serait impossible de la
déplacer. M. de Rosny, qui avait une grande expérience, avait fait
attacher autour de la voiture des flotteurs constitués des tonnelets vides et
on avait doublé l’attelage de chevaux. On transporterait ensuite la poudre en
petites quantités pour éviter de la mouiller.
Le passage durait depuis trois heures, et la
nuit était tombée, quand la couleuvrine et son matériel furent enfin en
sécurité de l’autre côté de l’Isle sous le commandement de Clermont d’Amboise, le
premier officier de Rosny. Olivier allait prêter main-forte à l’équipe du
troisième canon qui attendait sur l’autre rive quand le baron de Rosny arriva
au galop, fort agité.
Le roi de Navarre venait d’apprendre que
Joyeuse avait mis son armée en route depuis La Roche-Chalais. Tout le camp
ennemi marchait déjà avec diligence, résolu de livrer bataille. Il serait en
vue dès les sept heures du matin or, d’ici là, il serait impossible d’avoir
fait passer le gué à plus de la moitié des troupes. Si l’armée protestante ne
voulait pas être taillée en pièces, comme à Jarnac, il fallait la mettre dès
maintenant en ordre de bataille. Il était préférable de se résoudre au combat
avec toutes ses forces, que de se laisser surprendre par morceaux épars en se
retirant, avait jugé le Béarnais. Olivier devait donc immédiatement faire
demi-tour, en priant Dieu d’arriver avant le début de l’affrontement.
— Mais, monsieur, objecta-t-il. L’artillerie
ne sera jamais en place à temps ! De nuit, il faudra encore plusieurs
heures pour faire retraverser les canons, la poudre et les boulets, et les
hommes sont gelés et épuisés.
— Je sais, Hauteville, mais c’est un ordre
du roi ! Henri n’a choisi ni le lieu ni l’heure. Il est contraint d’accepter
l’un et l’autre !
Olivier avait appris à obéir. Il rassembla ses
soldats et entreprit de vérifier l’état du chariot portant la couleuvrine
pendant que Clermont d’Amboise [83] réunissait tous les hommes disponibles pour lui prêter main-forte.
À trois heures du matin, les trois canons
étaient repassés sur l’autre rive. Navarre, en salade à visière et corselet, arriva
accompagné de deux officiers. Éclairé par des flambeaux, il conduisit Olivier
et Clermont d’Amboise jusqu’à l’endroit qu’il avait choisi pour placer l’artillerie.
C’était un petit tertre, pas très haut, nommé
la Butte aux Loups. Sur le flanc de la butte, expliqua le Bourbon, il
installerait deux bataillons d’arquebusiers pour les protéger d’une mauvaise
surprise.
Olivier jugea l’élévation de terre avantageuse,
mais il fallait monter les deux canons et la lourde couleuvrine à son sommet
alors qu’il n’y avait aucun chemin. Heureusement, le ciel était clair et la
lune décroissante
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