La Guerre Du Feu
approche dissipe. Le temps passa sous les étoiles. Naoh ne s’éveilla qu’au retour de la tigresse. Elle ne ramenait pas de proie ; elle semblait lasse. Le lion-tigre, s’étant levé, la flaira longuement et se mit en chasse à son tour. Lui aussi suivit le bord de la rivière, se tapit dans les buissons, prolongea sa course dans la forêt. Naoh l’épiait avidement. Souvent, il faillit éveiller les autres (Nam avait succombé au sommeil), mais un instinct sûr l’avertissait que la brute n’était pas assez éloignée encore. Enfin, il se décida ; il toucha l’épaule de ses compagnons et, lorsqu’ils furent debout, il murmura :
– Nam et Gaw sont-ils prêts à combattre ?
Ils répondirent :
– Le fils du Saïga suivra Naoh !
– Nam combattra de l’épieu et du harpon.
Les jeunes guerriers considérèrent la tigresse. Quoique la bête fût toujours couchée, elle ne dormait point : à quelque distance, le dos tourné aux blocs basaltiques, elle guettait. Or Naoh, pendant sa veille, avait silencieusement déblayé la sortie. Si l’attention de la tigresse s’éveillait tout de suite, un seul homme, deux au plus auraient le temps de surgir du refuge. S’étant assuré que les armes étaient en état, Naoh commença par pousser dehors son harpon et sa massue, puis il se coula avec une prudence infinie. La chance le favorisa : des hurlements de loups, des cris de hulotte couvrirent le bruit léger du corps frôlant la terre. Naoh se trouva sur la prairie, et déjà la tête de Gaw arrivait à l’ouverture. Le jeune guerrier sortit d’un mouvement brusque ; la tigresse se retourna et regarda fixement les Nomades. Surprise, elle n’attaqua pas tout de suite, si bien que Nam put arriver à son tour. Alors seulement la tigresse fit un bond, avec un miaulement d’appel ; puis elle continua de se rapprocher des hommes, sans hâte, sûre qu’ils ne pourraient échapper. Eux, cependant, avaient levé leurs sagaies. Nam devait lancer la sienne tout d’abord, puis Gaw, et tous deux viseraient aux pattes. Le fils du Peuplier profita d’un moment favorable. L’arme siffla ; elle atteignit trop haut, près de l’épaule. Soit que la distance fût excessive, soit que la pointe eût glissé de biais, la tigresse ne parut ressentir aucune douleur : elle gronda et hâta sa course. Gaw, à son tour, lança le trait. Il manqua la bête, qui avait fait un écart. C’était au tour de Naoh. Plus fort que ses compagnons, il pouvait faire une blessure profonde. Il lança le trait alors que la tigresse n’était qu’à vingt coudées ; il l’atteignit à la nuque. Cette blessure n’arrêta pas la bête, qui précipita son élan.
Elle arriva sur les trois hommes comme un bloc : Gaw croula, atteint d’un coup de griffe sur la mamelle. Mais la pesante massue de Naoh avait frappé ; la tigresse hurlait, une patte rompue, tandis que le fils du Peuplier attaquait avec son épieu. Elle ondula avec une vitesse prodigieuse, aplatit Nam contre le sol et se dressa sur ses pattes arrière pour saisir Naoh. La gueule monstrueuse fut sur lui, un souffle brûlant et fétide ; une griffe le déchirait... La massue s’abattit encore. Hurlant de douleur, le fauve eut un vertige qui permit au Nomade de se dégager et de disloquer une deuxième patte. La tigresse tournoya sur elle-même, cherchant une position d’équilibre, happant dans le vide, tandis que la massue cognait sans relâche sur les membres. La bête tomba, et Naoh aurait pu l’achever, mais les blessures de ses compagnons l’inquiétèrent. Il trouva Gaw debout, le torse rouge du sang qui jaillissait de sa mamelle : trois longues plaies rayaient la chair. Quant à Nam, il gisait, étourdi, avec des plaies qui semblaient légères ; une douleur profonde s’étendait dans sa poitrine et dans ses reins ; il ne pouvait se relever. Aux questions de Naoh, il répondit ainsi qu’un homme à moitié endormi.
Alors le chef demanda :
– Gaw peut-il venir jusqu’à la rivière ?
– Gaw ira jusqu’à la rivière, murmura le jeune Oulhamr.
Naoh se coucha et colla son oreille contre la terre, puis il aspira longuement l’espace. Rien ne révélait l’approche du lion géant et, comme, après la fièvre du combat, la soif devenait intolérable, le chef prit Nam dans ses bras et le transporta jusqu’au bord de l’eau. Là, il aida Gaw à se désaltérer, but lui-même abondamment et abreuva Nam en lui versant l’eau du creux de
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