La Guerre Du Feu
par deux, ils les retiraient à mesure : c’était un stratagème par quoi l’homme dépassait l’élaphe le plus subtil et le loup le plus sagace. Quand ils eurent franchi trois ou quatre cent coudées, ils crurent avoir assez fait pour décourager la poursuite et ils continuèrent le voyage en ligne droite.
Ils avancèrent quelque temps en silence puis Nam et Gaw s’interpellèrent, tandis que Naoh dressait l’oreille. Au loin, un rauquement avait retenti : il se répéta trois fois, suivi d’un long miaulement.
Nam dit :
– Voici le lion géant !
– Marchons plus vite ! murmura Naoh.
Ils firent une centaine de pas, sans que rien troublât la paix des ténèbres ; ensuite la voix tonna, plus proche.
– Le lion géant est au bord de la rivière !
Ils hâtèrent encore leur marche : maintenant les rugissements se suivaient, saccadés, stridents, pleins de colère et d’impatience. Les Nomades connurent que la bête courait à travers leurs traces enchevêtrées : leur cœur frappait contre leur poitrine comme le bec du pic contre l’écorce des arbres ; ils se sentirent nus et faibles devant la masse pesante de l’ombre. D’autre part, cette ombre les rassurait, elle les mettait à l’abri même du regard des nocturnes. Le lion géant ne pouvait les suivre qu’à la piste, et, s’il traversait la rivière, il se retrouverait aux prises avec la ruse des hommes, il ignorerait par où ils avaient passé.
Un rugissement formidable raya l’étendue ; Nam et Gaw se rapprochèrent de Naoh :
– Le grand lion a passé l’eau ! murmura Gaw.
– Marchez ! répondit impérieusement le chef, tandis que lui-même s’arrêtait et se couchait pour mieux entendre les vibrations de la terre.
Coup sur coup, d’autres clameurs éclatèrent.
Naoh, se relevant, cria :
– Le grand lion est encore sur l’autre rive !
La voix grondante décroissait ; la bête avait abandonné la poursuite et se retirait vers le nord. Or il était improbable qu’un autre félin de haute stature empiétât sur le territoire ; quant à l’ours gris, rare déjà dans le terroir où Naoh l’avait combattu, il devait être presque introuvable, si loin et si bas dans le sud. Et, à trois, ils ne redoutaient ni le léopard ni la grande panthère.
Ils marchèrent très longtemps. Quoique la bruine fût dissipée, les ténèbres demeuraient profondes. Une épaisse muraille de nuages couvrait les étoiles. On n’apercevait que ces phosphorescences légères qui s’échappent des plantes ou se posent sur les eaux ; une bête soufflait dans le silence ou faisait entendre le frôlement de ses pattes ; un grondement roulait sur les herbes mouillées ; des fauves en chasse hurlaient, glapissaient, aboyaient.
Les Oulhamr s’arrêtaient pour saisir les bruits et les senteurs, qui sont comme la rôderie aérienne des bêtes. Enfin, Nam et Gaw commencèrent à se lasser. Nam sentait une faiblesse autour de ses os, les cicatrices de Gaw étaient plus chaudes : il fallait chercher un abri. Pourtant, ils franchirent encore quatre mille coudées : l’air redevint plus humide, le souffle de l’espace s’enfla. Ils devinèrent qu’une grande masse d’eau était prochaine. Bientôt, ils en eurent la certitude.
Tout semblait paisible. À peine si quelques bruits furtifs annonçaient la fuite d’une bestiole, si quelque forme apparaissait et disparaissait dans un bond rapide. Naoh finit par choisir comme abri un immense peuplier noir. L’arbre ne pouvait offrir aucune défense contre l’attaque des fauves, mais, dans les ténèbres, comment trouver un refuge sûr ou qui ne fut pas occupé ? La mousse était mouillée et le temps frais. Peu importait aux Oulhamr ; ils avaient une chair aussi résistante aux intempéries que des ours ou des sangliers. Nam et Gaw s’étendirent sur le sol et s’anéantirent tout de suite dans le sommeil ; Naoh veillait. Il n’était pas las ; il avait pris de longs repos sous les pierres basaltiques et, bien préparé aux marches, aux travaux et aux combats, il résolut de prolonger sa garde pour que Nam et Gaw fussent plus forts.
Deuxième partie
1
Les cendres
Longtemps, il se trouva dans cette obscurité sans astre qui avait retardé la fuite. Puis une clarté filtra à l’orient. Répandue avec douceur dans la mousse des nuages, elle descendit comme une nappe de perles. Naoh vit qu’un lac barrait la route du sud : son œil n’en pouvait apercevoir la
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