La Guerre Du Feu
les deux autres et le heurt rompit l’élan des adversaires. Le moins fort des Kzamms avait chancelé. Naoh s’en aperçut, se rua sur lui et, d’un choc énorme, lui rompit la nuque. Mais lui-même fut atteint : un nœud de massue déchira rudement son épaule gauche ; à peine s’il évita un coup en plein crâne. Haletant, il se rejeta en arrière, pour reprendre position, puis, l’arme haute, il attendit.
Quoiqu’il ne lui restât qu’un seul adversaire, ce fut le moment épouvantable. Car son bras gauche pouvait à peine lui servir, tandis que le Kzamm se dressait, doublement armé, dans la plénitude de sa force. C’était le guerrier de haute stature, au torse profond, cerclé de côtes plus pareilles à des côtes d’aurochs qu’à des côtes d’homme, avec des bras dont la longueur dépassait d’un tiers ceux de Naoh. Ses jambes incurvées, trop brèves pour la course, lui assuraient un puissant équilibre.
Avant l’attaque décisive, il examina sournoisement le grand Oulhamr. Jugeant que sa supériorité serait plus sûre s’il frappait à deux mains, il ne garda que sa massue. Puis il prit l’offensive.
Les armes, presque égales de poids, taillées dans le chêne dur, s’entrechoquèrent. Le coup du Kzamm fut plus fort que celui de Naoh, qui ne pouvait user de sa main gauche. Mais le fils du Léopard avait paré par un mouvement transversal. Quand le Kzamm renouvela l’attaque, il rencontra le vide ; Naoh s’était dérobé. Ce fut lui qui prit l’offensive : à la troisième reprise, sa massue arriva comme un roc. Elle eût fendu la tête de l’adversaire, si les longs bras fibreux n’avaient su se relever à temps ; de nouveau, les nœuds de chêne se rencontrèrent, et le Kzamm recula. Il riposta par un coup frénétique, qui arracha presque la massue de Naoh ; et, avant que celui-ci eût repris position, les mains du Dévoreur d’Hommes se relevaient et se rabattaient. L’Oulhamr put amortir, il ne put arrêter le coup : atteint en plein crâne, il plia sur ses jarrets, il vit tourbillonner la terre, les arbres et le Feu. Dans cette seconde mortelle, l’instinct ne l’abandonna point, une énergie suprême s’éleva du fond de l’être, et, de biais, avant que l’adversaire ne se fût ressaisi, il lança sa massue. Des os craquèrent ; le Kzamm croula : son cri se perdit dans la mort.
Alors, la joie de Naoh gronda comme un torrent ; il considéra, avec un rire rauque, le brasier où soubresautaient des flammes. Sous les astres profonds, dans la rumeur du fleuve, au murmure léger de la brise, entrecoupé du glapissement des chacals et de la voix d’un lion perdu à l’autre rive, il avait peine à concevoir son triomphe.
Et il criait d’une voix haletante :
– Naoh est maître du Feu !
Il lui semblait être la vie souveraine du monde. Il tournait lentement autour de la bête rouge, il allongeait la main vers elle, il exposait sa poitrine à cette caresse depuis si longtemps perdue. Puis il murmurait encore, dans le ravissement et dans l’extase :
– Naoh est maître du Feu !
À la longue, la fièvre de son bonheur s’apaisa. Il commença de craindre le retour des Kzamms ; il lui fallait emporter sa conquête. Déliant les pierres minces qu’il portait avec lui, depuis son départ du grand marécage, il se disposa à les réunir avec des brindilles, des écorces et des roseaux. Comme il furetait autour du camp, il eut une joie nouvelle : dans un repli du terrain, il venait d’apercevoir la cage où les Dévoreurs d’Hommes entretenaient le Feu.
C’était une sorte de nid en écorce, garni de pierres plates disposées avec un art grossier, patient et solide ; une petite flamme y scintillait encore. Quoique Naoh sût fabriquer les cages à feu aussi bien qu’aucun homme de sa horde, il lui eût été difficile d’en faire une aussi parfaite. Il y fallait le loisir, un choix attentif des pierres, des remaniements nombreux. La cage des Kzamms était composée d’une triple couche de feuilles de schiste, maintenues extérieurement par une écorce de chêne vert ; elle était reliée par des branchettes flexibles. Une fente maintenait un tirage léger.
Ces cages demandaient une vigilance incessante ; il fallait défendre la flamme contre la pluie et les vents ; prendre garde qu’elle ne décrût ni n’augmentât au-delà de certaines limites fixées par une expérience millénaire, et renouveler souvent l’écorce.
Naoh
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