La Guerre Du Feu
n’ignorait aucun des rites transmis par les ancêtres : il ranima légèrement le Feu, il imbiba la surface extérieure d’un peu d’eau puisée dans une flaque, il vérifia la fente et l’état du schiste. Avant de fuir, il s’empara des haches et des sagaies éparses, puis il jeta un dernier regard sur le camp et sur la plaine.
Deux des adversaires tournaient leurs faces roides vers les étoiles ; les deux autres, malgré leurs souffrances, se tenaient immobiles, pour faire croire qu’ils étaient morts. La prudence et la loi des hommes voulaient qu’ils fussent achevés.
Naoh s’approcha de celui qui était blessé à la cuisse, et déjà il dardait sa sagaie : un étrange dégoût lui pénétra le cœur, toute haine se perdait dans la joie, et il ne put se résigner à éteindre de nouveaux souffles.
D’ailleurs, il était plus urgent d’écraser le foyer : il en éparpilla les tisons, à l’aide d’une des massues laissées par les vaincus, il les réduisit en fragments trop menus pour durer jusqu’au retour des guerriers, puis, entravant les blessés dans des roseaux et des branches, il cria :
– Les Kzamms n’ont pas voulu donner un tison au fils du Léopard et les Kzamms n’ont plus de Feu. Ils rôderont dans la nuit et dans le froid, jusqu’à ce qu’ils aient rejoint leur horde !... Ainsi, les Oulhamr sont devenus plus forts que les Kzamms !
Naoh se retrouva seul au pied du tertre où Nam et Gaw devaient le rejoindre. Il ne s’en étonna point : les jeunes guerriers avaient dû faire de vastes détours devant leurs poursuivants...
Après avoir couvert sa plaie de feuilles de saule, il s’assit près de la flamme légère où étincelait son destin.
Le temps coula avec les eaux du Grand Fleuve et avec les rayons de la lune montante. Lorsque l’astre toucha le zénith, Naoh dressa la tête. Dans les mille rumeurs éparses, il reconnaissait un rythme particulier, qui était celui de l’homme. C’était un pas rapide, mais moins compliqué que celui des bêtes à quatre pattes. Presque imperceptible d’abord, il se précisa, puis, un élan de la brise apportant quelque émanation subite, l’Oulhamr se dit :
« Voici le fils du Peuplier qui a dépisté les ennemis. »
Car aucun indice de poursuite ne se décelait sur la plaine.
Bientôt une silhouette flexible se dessina entre deux sycomores ; Naoh reconnut qu’il ne s’était pas trompé : c’était Nam qui s’avançait dans la nappe argentine du clair de lune. Il ne tarda pas à paraître au pied du tertre.
Et le chef demanda :
– Les Kzamms ont-ils perdu la trace de Nam ?
– Nam les a entraînés très loin dans le nord, puis les a devancés et il a longtemps marché dans la rivière. Ensuite, il s’est arrêté ; il n’a plus vu, ni entendu, ni flairé les Dévoreurs d’Hommes.
– C’est bien ! répondit Naoh en lui passant la main sur la nuque. Nam a été agile et rusé. Mais qu’est devenu Gaw ?
– Le fils du Saïga a été poursuivi par une autre troupe de Kzamms. Nam n’a pas rencontré sa trace.
– Nous attendrons Gaw ! Et maintenant, que Nam regarde.
Naoh entraîna son compagnon. Au tournant du tertre, dans une échancrure, Nam vit étinceler une petite flamme palpitante et chaude.
– Voilà ! fit simplement le chef. Naoh a conquis le Feu.
Le jeune homme poussa un grand cri ; ses yeux s’élargirent de ravissement ; il se prosterna devant le fils du Léopard et murmura :
– Naoh est aussi rusé que toute une horde d’hommes !... Il sera le grand chef des Oulhamr et aucun ennemi ne lui résistera.
Ils s’assirent devant ce faible feu et ce fut comme si le brasier des nuits les protégeait de sa véhémence, au bord des cavernes natales, sous les étoiles froides, devant les flammeroles du grand marécage. L’idée du long retour ne leur était plus pénible : quand ils auraient quitté les terres du Grand Fleuve, les Kzamms ne les poursuivraient point : ils traverseraient des contrées où les bêtes seules rôdent dans les solitudes.
Ils rêvèrent longtemps ; l’avenir était sur eux et pour eux, l’espace rempli de promesses. Mais, quand la lune commença de croître sur le ciel occidental, l’inquiétude se tapit dans leurs poitrines.
– Où reste Gaw ?... murmura le chef. N’a-t-il pas su dépister les Kzamms ? A-t-il été arrêté par un marécage ou pris au piège ?
La plaine était muette ; les bêtes se taisaient ; la brise
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