La Guerre Du Feu
même venait de s’alanguir sur le fleuve et de s’évanouir dans les trembles ; on n’entendait que la rumeur assourdie des eaux. Fallait-il attendre jusqu’à l’aube ou se mettre à la recherche de l’absent ? Il répugnait étrangement à Naoh de laisser le Feu à la garde de Nam. D’autre part, l’image du jeune guerrier pourchassé par les Dévoreurs d’Hommes le surexcitait. À cause du Feu, il pouvait l’abandonner à son sort, et même il le devait, mais il s’était pris pour ses compagnons d’une tendresse sauvage ; ils participaient véritablement de sa personne ; leurs dangers l’alarmaient autant que les siens, davantage même, car il les savait plus que lui exposés aux embûches, menacés par les éléments et les êtres.
– Naoh va chercher la trace de Gaw ! dit-il enfin. Il laissera le fils du Peuplier veiller sur le Feu. Nam n’aura pas de repos, il mouillera l’écorce lorsqu’elle sera trop chaude : il ne s’éloignera jamais plus longtemps qu’il ne faut pour aller jusqu’au fleuve et en revenir.
– Nam veillera sur le Feu comme sur sa propre vie ! répondit fortement le jeune Nomade.
Il ajouta avec fierté :
– Nam sait entretenir la flamme ! Sa mère le lui a enseigné lorsqu’il était aussi petit qu’un louveteau.
– C’est bien. Si Naoh n’est pas revenu quand le soleil sera à la hauteur des peupliers, Nam se réfugiera auprès des mammouths..., et si Naoh n’est pas revenu avant la fin du jour, Nam fuira seul vers le pays de chasse des Oulhamr.
Il s’éloigna ; toute sa chair vibrait de détresse, et maintes fois il se retourna vers la silhouette déclinante de Nam, vers la petite cage du Feu, dont il se figurait voir encore la faible lumière, alors qu’elle était déjà confondue avec le clair de lune.
6
La recherche de Gaw
Pour retrouver la piste de Gaw, il lui fallait retourner d’abord vers le camp des Dévoreurs d’Hommes. Il marchait plus lentement. Son épaule brûlait sous les feuilles de saule qu’il y avait pressées ; sa tête bourdonnait : il sentait une douleur à l’endroit où l’avait atteint la massue et il éprouvait une grande mélancolie à voir que, après la conquête du Feu, sa tâche demeurait aussi rude et aussi incertaine. Il arriva ainsi au tournant de la même fresnaie d’où, avec ses jeunes hommes, il avait aperçu la halte des Kzamms. Alors, un brasier rouge y éteignait la lueur de la lune montante ; maintenant, le camp était morne, les braises, dispersées par Naoh, s’étaient toutes éteintes, l’argenture nocturne se posait sur l’immobilité des hommes et des choses ; on n’entendait que la plainte intermittente d’un blessé.
Naoh, ayant consulté chacun de ses sens, eut la certitude que les poursuivants n’étaient pas revenus. Il marcha vers le camp : les plaintes du blessé cessèrent ; il sembla n’y avoir plus là que des cadavres. D’ailleurs, il ne s’attarda pas ; il marcha dans la direction par où Gaw avait fui tout d’abord, et il retrouva la piste. D’abord facile à suivre, accompagnée qu’elle était par les traces nombreuses des Kzamms, et presque en ligne droite, elle s’infléchissait par la suite, tournait entre des mamelons, revenait sur elle-même, traversait des broussailles. Une mare la coupait brusquement : Naoh ne la ressaisit qu’au tournant de la rive, humide maintenant, comme si Gaw et les autres eussent été trempés dans l’eau.
Devant un bois de sycomores, les Kzamms avaient dû se diviser en plusieurs bandes. Naoh réussit toutefois à démêler la direction favorable et marcha pendant trois ou quatre mille coudées encore. Mais, alors, il dut s’arrêter. De gros nuages engloutissaient la lune, l’aube ne se décelait pas encore.
Le fils du Léopard s’assit au pied d’un sycomore qui croissait depuis dix générations d’hommes. Les fauves avaient fini leur chasse, les animaux diurnes ne bougeaient pas encore, cachés dans la terre, les fourrés, les trous des arbres, ou parmi les ramures.
Naoh se reposa ; quelques gouttes du temps éternel s’écoulèrent à travers la vie fugitive du bois. Puis une blancheur froide commença à se répandre de cime en cime. L’aube d’automne, appesantie et morte, effleurait les feuilles débiles et les nids ruineux, poussant devant elle une petite brise qui semblait le soupir des sycomores. Naoh, debout devant la lumière encore pâle comme la cendre blanche d’un foyer, mangea un
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