La Guerre Du Feu
clame :
– Je suis Naoh, fils du Léopard, qui a conquis le Feu pour les Oulhamr. Que les envoyés de Faouhm se montrent !
La solitude demeure impénétrable. La brise même s’est assoupie et la rumeur des fauves ; seuls le ronflement des flammes et la voix fraîche de la rivière semblent s’accroître.
– Que les envoyés de Faouhm se montrent ! répète le chef. S’ils regardent, ils reconnaîtront Naoh, Nam et Gaw ! Ils savent qu’ils seront les bienvenus.
Tous trois, debout devant le feu rouge, montrent des silhouettes aussi visibles qu’en plein jour et poussent le cri d’appel des Oulhamr.
L’attente. Elle mord le cœur des compagnons ; elle est grosse de toutes les choses terribles. Et Naoh gronde :
– Ce sont des ennemis !
Nam et Gaw le savent bien et toute joie les quitte. Le péril est plus dur, qui les frappe dans cette nuit où le retour semblait si proche. Il est plus équivoque aussi, puisqu’il vient des hommes. Sur ce sol voisin du grand marécage, ils ne pressentaient d’autre approche que celle de leur horde. Est-ce que les vainqueurs de Faouhm l’ont attaqué encore ? Les Oulhamr ont-ils disparu du monde ?
Naoh voit Gammla conquise ou morte. Il grince des mâchoires et sa massue menace l’autre rive. Puis, accablé, il s’accroupit devant le bûcher, il songe, il guette...
Le ciel s’est ouvert à l’orient, la lune à son dernier quartier apparaît au fond de la savane. Elle est rouge et fumeuse, énorme ; sa lueur est faible encore, mais elle fouille les profondeurs du site : la fuite que médite le chef deviendra presque impossible si les hommes cachés sont en nombre et s’ils ont dressé des embuscades.
Tandis qu’il y pense, un grand frémissement le secoue. À l’aval, il vient d’apercevoir une silhouette trapue. Si rapidement qu’elle ait disparu dans les roseaux, la certitude le pénètre comme la pointe d’un harpon. Ceux qui se cachent sont bien des Oulhamr : mais Naoh préférerait les Dévoreurs d’Hommes ou les Nains Rouges. Car il vient de reconnaître Aghoo-le-Velu.
10
Aghoo-le-Velu
Il revécut, en quelques battements de cœur, la scène où Aghoo et ses frères s’étaient dressés devant Faouhm et avaient promis de conquérir le Feu. La menace flamboyait dans leurs yeux circulaires, la force et la férocité accompagnaient leurs gestes. La horde les écoutait avec tremblement. Chacun des trois aurait tenu tête au grand Faouhm. Avec leurs torses aussi velus que celui de l’ours gris, leurs mains énormes, leurs bras durs comme des branches de chêne, avec leur ruse, leur adresse, leur courage, leur union indestructible, leur habitude de combattre ensemble, ils valaient dix guerriers. Et, songeant à tous ceux qu’ils avaient tués ou dont ils avaient rompu les membres, une haine sans bornes contractait Naoh.
Comment les abattre ? Lui, le fils du Léopard, se croyait l’égal d’Aghoo : après tant de victoires, sa confiance en soi s’était parfaite ; mais Nam et Gaw seraient pris comme des léopards devant des lions !
La surprise et tant d’impressions bondissant dans sa tête n’avaient pas retardé la résolution de Naoh. Elle fut aussi rapide que le bond du cerf surpris au gîte.
– Nam partira d’abord, commanda-t-il, puis Gaw. Ils emporteront les sagaies et les harpons, je jetterai leurs massues quand ils seront au bas du roc. Je porterai seul le Feu.
Car il ne put se résigner, malgré les pierres mystérieuses des Wah, à abandonner la flamme conquise.
Nam et Gaw comprirent qu’il fallait gagner de vitesse Aghoo et ses frères, non seulement cette nuit, mais jusqu’à ce qu’on eût rejoint la horde. En hâte, ils saisirent leurs armes de trait, et déjà Nam descendait l’escarpement, Gaw le suivant à deux hauteurs d’homme. Leur tâche fut plus rude que pour la montée, à cause des lueurs fausses, des ombres brusques et parce qu’il fallait tâter dans le vide, découvrir des anfractuosités invisibles, se coller étroitement contre la paroi.
Quand Nam se trouva près d’arriver, un cri d’effraie jaillit de la rive, une bramée lui succéda, puis le mugissement du héron-butor. Naoh, penché au bord de la plate-forme, vit jaillir Aghoo d’entre les joncs. Il arrivait en foudre. Un instant plus tard, ses frères surgissaient, l’un au sud et l’autre au levant.
Nam venait de bondir sur la plaine.
Alors, Naoh sentit son cœur plein de trouble. Il ne savait s’il fallait jeter la
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