La Guerre Du Feu
massue à Nam ou le rappeler. Le jeune homme était plus agile que les fils de l’Aurochs, mais, comme ils convergeaient vers le roc, il passerait à portée de la sagaie ou du harpon... L’hésitation du chef fut brève, il cria :
– Je ne jetterai pas la massue à Nam..., elle alourdirait sa course ! Qu’il fuie..., qu’il aille avertir les Oulhamr que nous les attendons ici, avec le Feu.
Nam obéit, tout tremblant, car il se connaissait faible devant les frères formidables, à qui sa courte pause avait fait gagner du terrain. Après quelques bonds, il trébucha et dut reprendre son élan. Et Naoh, voyant le péril s’accroître, rappela son compagnon.
Déjà, les Velus étaient proches. Le plus agile lança la sagaie. Elle perça le bras du jeune homme au moment où il commençait l’escalade ; l’autre, poussant un cri de mort, fondit sur Nam pour le broyer. Naoh veillait. D’un bras terrible, il lança une pierre : elle traça un arc dans la pénombre, elle fit craquer le fémur de l’assaillant, qui s’abattit. Avant que le fils du Léopard eût choisi un deuxième projectile, le blessé, avec des rauquements de rage, disparut derrière un buisson.
Puis il y eut un grand silence. Aghoo s’était dirigé vers son frère, il examinait sa blessure. Gaw aidait Nam à regagner la plate-forme ; Naoh, debout dans la double clarté du brasier et de la lune, levant à deux mains un quartier de porphyre, se tenait prêt à lapider les agresseurs. Sa voix se fit entendre la première :
– Les fils de l’Aurochs ne sont-ils pas de la même horde que Naoh, Nam et Gaw ? Pourquoi nous attaquent-ils comme des ennemis ?
Aghoo-le-Velu se dressa à son tour. Ayant poussé son cri de guerre, il répondit :
– Aghoo vous traitera comme des amis si vous voulez lui donner sa part du Feu et comme des élaphes si vous la lui refusez.
Un ricanement formidable ouvrait ses mâchoires ; sa poitrine était si large qu’on aurait pu y coucher une panthère. Le fils du Léopard s’écria :
– Naoh a conquis le Feu sur les Dévoreurs d’Hommes. Il partagera le Feu quand il aura rejoint la horde !
– Nous voulons le Feu maintenant... Aghoo aura Gammla et Naoh recevra une double part de chasse et de butin.
La fureur fit trembler le fils du Léopard.
– Pourquoi Aghoo aurait-il Gammla ? Il n’a pas su conquérir le Feu ! Les hordes se sont moquées de lui...
– Aghoo est plus fort que Naoh. Il ouvrira vos ventres avec le harpon et brisera vos os avec la massue.
– Naoh a tué l’ours gris et la tigresse. Il a abattu dix Dévoreurs d’Hommes et vingt Nains Rouges. C’est Naoh qui tuera Aghoo !
– Que Naoh descende dans la plaine !
– Si Aghoo était venu seul, Naoh serait allé le combattre.
Le rire d’Aghoo éclata, vaste comme un rugissement :
– Aucun de vous ne reverra le grand marécage !
Tous deux se turent. Naoh comparait, avec un frisson, les torses minces de Nam et de Gaw aux structures effrayantes des fils de l’Aurochs. Pourtant, ne remportait-il pas le premier avantage ? Car, si Nam était blessé, un des trois frères était incapable de poursuivre un ennemi.
Le sang coulait du bras de Nam. Le chef y appliqua les cendres du foyer et le recouvrit d’herbes. Puis, tandis que ses yeux veillaient, il se demanda comment il allait combattre. Il ne fallait pas espérer surprendre la vigilance d’Aghoo et de ses frères. Leurs sens étaient parfaits, leurs corps infatigables. Ils avaient la force, la ruse, l’adresse et l’agilité ; un peu moins rapides que Nam ou Gaw, ils les dépassaient par le souffle. Seul le fils du Léopard, plus vite dans le premier élan, leur était égal par l’endurance.
La situation se peignait par fragments dans la tête du chef, et, rattachant ces fragments, l’instinct leur donnait une cohérence. Naoh voyait ainsi les péripéties de la fuite et du combat ; il était déjà tout action tandis qu’il demeurait encore accroupi dans la lueur cuivreuse. Il se leva enfin ; un sourire de ruse passa sur ses paupières ; son pied grattait la terre comme le sabot d’un taureau. D’abord, il fallait éteindre le foyer, afin que, même vainqueurs, les fils de l’Aurochs n’eussent ni Gammla ni la rançon. Naoh jeta dans la rivière les plus gros brandons ; aidé par ses compagnons, il tua le Feu avec de la terre et des pierres. Il ne garda en vie que la faible flamme d’une des cages. Ensuite, il organisa de nouveau la
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