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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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confus, ne savait comment répondre à cette question, que Pierre renouvela en la posant au prince André :
    « Pour ne pas ruiner le pays qu’on laissait à l’ennemi, répondit André toujours d’un ton de raillerie. C’était une mesure extrêmement sage, car on ne saurait tolérer la maraude, et à Smolensk il a jugé aussi sainement que les Français pouvaient nous tourner, que leurs forces étaient supérieures en nombre aux nôtres… Mais ce qu’il n’a pu comprendre, s’écria-t-il avec un éclat de voix involontaire, c’est que nous défendions là pour la première fois le sol russe, et que les troupes s’y battaient avec un élan que je ne leur avais jamais vu ! Bien que nous eussions tenu vaillamment pendant deux jours, et que ce succès eût décuplé nos forces, il n’en a pas moins ordonné la retraite, et alors tous nos efforts et toutes nos pertes se sont trouvées inutiles !… Il ne pensait certes pas à trahir, il avait fait tout pour le mieux, il avait tout prévu : mais c’est justement pour cela qu’il ne vaut rien ! Il ne vaut rien parce qu’il pense trop, et qu’il est trop minutieux, comme le sont tous les Allemands. Comment te dirai-je ?… Admettons que ton père ait auprès de lui un domestique allemand, un excellent serviteur qui, dans son état normal de santé, lui rend plus de services que tu ne pourrais le faire… Mais que ton père tombe malade, tu le renverras, et, de tes mains maladroites, tu soigneras ton père, et tu sauras mieux calmer ses douleurs qu’un étranger, quelque habile qu’il soit. C’est la même histoire avec Barclay ; tant que la Russie se portait bien, un étranger pouvait la servir, mais, à l’heure du danger, il lui faut un homme de son sang ! Chez vous, au club, n’avait-on pas inventé qu’il avait trahi ? Eh bien, que résultera-t-il de toutes ces calomnies ? On tombera dans l’excès opposé, on aura honte de cette odieuse imputation, et, pour la réparer, on en fera un héros, ce qui sera tout aussi injuste. C’est un Allemand brave et pédant… et rien de plus !
    – Pourtant, dit Pierre, on le dit bon capitaine.
    – Je ne sais pas ce que cela veut dire, reprit le prince André.
    – Mais enfin, dit Pierre, un bon capitaine c’est celui qui ne laisse rien au hasard, c’est celui qui devine les projets de son adversaire…
    – C’est impossible ! s’écria le prince André, comme si cette question était résolue pour lui depuis longtemps. Pierre le regarda étonné.
    – Pourtant, répliqua-t-il, la guerre ne ressemble-t-elle pas, dit-on, à une partie d’échecs ?
    – Avec cette petite différence, reprit le prince André, qu’aux échecs rien ne te presse, et que tu prends ton temps, tout à l’aise… Et puis, le cavalier n’est-il pas toujours plus fort que le pion, et deux pions plus forts qu’un, tandis qu’à la guerre un bataillon est parfois plus fort qu’une division, et parfois plus faible qu’une compagnie ? Le rapport des forces de deux armées, reste toujours inconnu. Crois-moi : si le résultat dépendait toujours des ordres donnés par les états-majors, j’y serais resté, et j’aurais donné des ordres tout comme les autres ; mais, au lieu de cela, tu le vois, j’ai l’honneur de servir avec ces messieurs, de commander un régiment, et je suis persuadé que la journée de demain dépendra plutôt de nous que d’eux ! Le succès ne saurait être et n’a jamais été la conséquence, ni de la position, ni des armes, ni du nombre !
    – De quoi donc alors ? fit Pierre.
    – Du sentiment qui est en moi, qui est en lui, – et il montra Timokhine, – qui est dans chaque soldat. »
    Timokhine regarda avec stupeur son chef dont l’excitation contrastait singulièrement à cette heure avec sa réserve et son calme habituels. On sentait qu’il ne pouvait s’empêcher d’exprimer les pensées qui lui venaient en foule.
    « La bataille est toujours gagnée par celui qui est fermement décidé à la gagner. Pourquoi avons-nous perdu celle d’Austerlitz ? Nos pertes égalaient celles des Français, mais nous avons cru trop tôt à notre défaite, et nous y avons cru parce que nous ne tenions pas à nous battre là-bas, et que nous avions envie de quitter le champ de bataille. Nous avons perdu la partie ; eh bien, fuyons, et nous avons fui ! Si nous ne nous l’étions pas dit, Dieu sait ce qui serait arrivé, et demain nous ne le dirons pas ! Tu m’assures que notre

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