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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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flanc gauche est faible, et que le flanc droit est trop étendu ? C’est absurde, car cela n’a aucune importance ; pense donc à ce qui nous attend demain ! Des milliers de hasards imprévus, qui peuvent tout terminer en une seconde !… Parce que les nôtres ou les leurs auront fui ! Parce qu’on aura tué celui-ci ou celui-là !… Quant à ce qui se fait aujourd’hui, c’est un jeu, et ceux avec lesquels tu as visité la position n’aident en rien à la marche des opérations ; ils l’entravent au contraire, car ils n’ont absolument en vue que leurs intérêts personnels !
    – Comment, dans le moment actuel ? demanda Pierre.
    – Le moment actuel, reprit le prince André, n’est pour eux que le moment où il sera plus facile de supplanter un rival et de recevoir une croix ou un nouveau cordon. Pour moi, je n’y vois qu’une chose : cent mille Russes et cent mille Français se rencontreront demain pour se battre : celui qui se battra le plus et se ménagera le moins sera vainqueur ; je te dirai mieux : quoi qu’on fasse, quelque soit l’antagonisme de nos chefs, nous gagnerons la bataille demain !
    – Voilà qui est la vérité, Excellence, la vraie vérité, murmura Timokhine, il n’y a pas à se ménager !… Croiriez-vous que les soldats de mon bataillon n’ont pas bu d’eau-de-vie… ? » « Ce n’est pas un jour pour cela, » disent-ils.
    Il se fit un silence.
    Les officiers se levèrent et le prince André sortit avec eux pour donner à son aide de camp ses derniers ordres. Dans ce moment, on entendit à peu de distance le bruit de quelques chevaux qui arrivaient par le chemin. Le prince André, se tournant de ce côté, reconnut aussitôt Woltzogen et Klauzevitz, accompagnés d’un cosaque ; ils passèrent si près d’eux, que Pierre et le prince André purent entendre qu’ils disaient en allemand :
    « Il faut que la guerre s’étende, c’est la seule manière de faire !
    – Oh oui ! répondit l’autre, du moment que le but principal est d’affaiblir l’ennemi, que l’on perde plus ou moins d’hommes, cela ne signifie rien !
    – Certainement, reprit la première voix.
    – Ah oui ! que la guerre s’étende ! dit le prince André avec colère : c’est ainsi que mon père, ma sœur et mon fils ont été chassés par elle ! Peu lui importe, à lui !… C’est bien ce que je te disais tout à l’heure : ce ne sont pas messieurs les Allemands qui gagneront la bataille, je te le jure ; ils ne feront que brouiller les cartes autant que possible, parce que dans la tête de cet Allemand il n’y a qu’un tas de raisonnements, dont le meilleur ne vaut pas une coquille d’œuf, et que dans son cœur il n’a pas ce que possède Timokhine, et qui sera nécessaire demain. Ils lui ont livré toute l’Europe, à « lui », et ils sont venus nous donner des leçons !… Excellents professeurs, ma foi !
    – Ainsi donc, vous croyez que nous gagnerons la bataille ?
    – Oui, répondit d’un air distrait le prince André. Il y a une chose seulement que je n’aurais pas permise, si j’avais pu l’empêcher : c’est de faire quartier. Pourquoi des prisonniers ? C’est de la chevalerie ! Les Français ont détruit ma maison, ils vont détruire Moscou : ce sont mes ennemis, ce sont des criminels ! Timokhine et toute l’armée pensent de même ; ils ne peuvent être nos amis, quoi qu’ils en aient dit, là-bas, à Tilsit !
    – Oui, oui ; s’écria Pierre, dont les yeux étincelaient, je suis tout à fait de votre avis !»
    La question qui le troublait depuis la descente de Mojaïsk venait en effet de trouver sa solution claire et nette. Il comprit le sens et l’importance de la guerre, et de la bataille qui allait se livrer ; tout ce qu’il avait vu dans la journée, l’expression grave et recueillie répandue sur les visages des soldats, cette chaleur patriotique latente, comme on dit en terme de physique, qui perçait chez chacun d’eux, lui furent expliquées, et il ne s’étonna plus du calme, de l’insouciance même avec lesquels on se préparait à mourir.
    « Si l’on ne faisait pas de prisonniers, la guerre changerait de caractère et deviendrait, crois-moi, moins cruelle… Mais nous n’avons fait que jouer à la guerre, voilà le tort : nous faisons les généreux, et cette générosité, cette sensiblerie sont celles d’une femmelette, qui se trouve mal à la vue d’un veau qu’on égorge : la vue du sang

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