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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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laissant aller au charme de la sympathie qu’il lui témoignait.
    « Je connais beaucoup d’exemples, poursuivit-il, où la blessure causée par un éclat d’obus peut n’être que très légère, elle n’est pas immédiatement mortelle. Il faut espérer, et je suis sûr que…
    – Oh ! ce serait affreux ! » dit la princesse Marie en l’interrompant, et comme l’émotion l’empêchait d’achever sa phrase, elle inclina la tête d’un mouvement plein de grâce comme l’étaient tous ses gestes en présence de Rostow, lui jeta un regard de reconnaissance et rejoignit sa tante.
    Ce soir-là Nicolas resta chez lui, afin de terminer au plus vite ses comptes avec les maquignons. Quand il les eut mis en règle, ce qui ne fut pas long, il arpenta longtemps sa chambre, en passant, contre son habitude, toute son existence en revue. Son entrevue du matin avec la princesse Marie lui avait causé une impression plus profonde qu’il ne l’aurait désiré pour son repos. Ses traits fins, pâles et mélancoliques, son regard lumineux, ses gestes doux et gracieux, et surtout cette douleur tendre et profonde qui s’exhalait de toute sa personne, le troublaient et commandaient sa sympathie. Autant Rostow aimait peu à trouver chez un homme la preuve d’une supériorité morale (c’était pourquoi il n’avait jamais eu de penchant pour le prince André, qu’il traitait volontiers de philosophe et de rêveur), autant chez la princesse Marie cette douleur, dans laquelle il entrevoyait la profondeur de ce monde spirituel où était comme un étranger, l’attirait d’une façon irrésistible. Quelle merveilleuse femme ! Ce doit être un ange véritable ! Pourquoi ne suis-je pas libre ? Pourquoi me suis-je tant pressé avec Sonia ? » Et involontairement il établissait une comparaison entre l’absence chez l’une et l’abondance chez l’autre de ces dons de l’âme qu’il ne possédait pas, et dont, pour cette raison même, il faisait tant de cas. Il se complaisait à se représenter comment il eût agi s’il avait été libre, comment il lui aurait demandé sa main et comment elle serait devenue sa femme ; mais à cette pensée il avait froid, et ne voyait plus devant ses yeux que des images confuses. Associer la princesse Marie à de riants tableaux lui semblait impossible. Il l’aimait sans la comprendre, tandis que dans le souvenir de Sonia tout était clair et simple, parce que pour lui il n’y avait en elle rien de mystérieux. « Comme elle priait ! se disait-il. C’est bien là la foi qui transporte les montagnes, et je suis sûr que sa prière sera exaucée. Pourquoi ne puis-je prier ainsi et demander ce dont j’ai besoin ? De quoi ai-je besoin ? D’être libre et de rompre avec Sonia ! La femme du gouverneur avait raison : mon mariage avec elle n’amènera que des malheurs, le désespoir de maman, les affaires… Ah ! quel embarras ! quel embarras ! Et puis, je ne l’aime pas, non, je ne l’aime pas comme il faudrait l’aimer ! Ah ! mon Dieu, qui m’aidera à sortir de cette affreuse impasse ? » s’écria-t-il en déposant sa pipe dans un coin ; et, les mains jointes, tout entier au souvenir de la princesse Marie, il se plaça devant l’image, les yeux pleins de larmes, et pria comme il n’avait pas prié depuis longtemps. Soudain la porte s’ouvrit et Lavrouchka entra : il lui apportait quelques lettres.
    « Imbécile ! qui te permet de venir ainsi sans être appelé ! dit Nicolas en changeant subitement de pose.
    – De la part du gouverneur, répondit Lavrouchka d’une voix endormie. Il est arrivé un courrier : c’est une lettre pour vous.
    – Bien, merci, va-t’en ! »
    Il y avait deux lettres, une de sa mère et une de Sonia ; ce fut celle-ci qu’il décacheta tout d’abord. À la lecture des premières lignes il pâlit, et ses yeux s’agrandirent de joie et de terreur : « Non, c’est impossible ! » dit-il tout haut. Son agitation était si grande, qu’il ne put rester en place, et il lut la lettre en marchant à grands pas. Il la lut une fois, deux fois, enfin, haussant les épaules et faisant un geste de surprise, s’arrêta au milieu de la chambre, la bouche béante et les yeux fixes. Sa prière à Dieu avait donc été exaucée ! Il en était aussi stupéfait que si, en réalité, c’eût été la chose la plus extraordinaire du monde, et il croyait même voir dans la réalisation prompte de ses désirs la preuve qu’elle

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